Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

21/09/2012

Comment devenir blanche en 15 jours ?

Par Catherine Morand, journaliste

Si vous vous rendez à Dakar ces prochains jours, vous serez accueillis à l’aéroport par un panneau publicitaire de 12 mètres carrés vantant les mérites d’un nouveau produit choc pour dépigmenter la peau, le Khess Petch, qui vous permet, assure la pub, de troquer votre teint noir contre une peau blanche en l’espace de 15 jours. On retrouve d’ailleurs la même photo d’une femme « avant et après » blanchiment placardée le long de toutes les grandes artères de la capitale sénégalaise, sur plus d’une centaine de panneaux géants, qui font la promotion de cette crème éclaircissante.

On n’avait jamais vu à Dakar une campagne d’une telle envergure, qui ose présenter un médicament violent, utilisé pour soigner des dermatoses aigües, des eczéma ou des psoriasis, comme s’il s’agissait d’un simple produit cosmétique, destiné à procurer le teint clair « dont vous avez toujours rêvé ».

Les médias sénégalais et les réseaux sociaux se sont aussitôt emparés de l’affaire et le débat fait rage depuis plusieurs jours à propos de ce qu’on appelle le khessal au Sénégal, le tcha en nouchi d’Abidjan, le tcha-tcho au Mali ou encore le dorot au Niger. «Mais comment, au Sénégal, la patrie du chantre de la négritude Léopold Sédar Senghor qui chantait « femme nue, femme noire », de Cheikh Anta Diop, peut-on accepter, dans notre capitale, cette humiliante publicité qui dévalorise tant la couleur de notre peau noire », écrit ainsi Amadou Bakhaw Diaw sur le site d’info sénégalais seral net.

Lancée sur internet le 8 septembre, une pétition en ligne adressée à la ministre de la santé et de l’action sociale Eva Marie Coll Seck s’en prend à la campagne d’affichage scandaleuse du produit Khess petch, qui signifie « toute blanche » en wolof. Cette pétition, qui a recueilli plus de 1000 signatures en l’espace de quatre jours, demande entre autres à la ministre de saisir les plus hautes autorités pour que cette publicité, faisant « l’ode au cancer de la peau », soit retirée des espaces publics.

Dans le même temps, la Radio télévision sénégalaise (RTS) vient de diffuser un documentaire intitulé « Une couleur qui me dérange » de la réalisatrice Khady Pouye qui attire l’attention sur la folie des femmes qui s’obstinent à dépenser chaque mois des milliers de francs CFA pour se procurer des produits qui attaquent leur peau et génèrent de graves problèmes de santé.

Dans les débats qui font actuellement rage au Sénégal, on pointe du doigt la responsabilité des animatrices de télévision, des speakerines, des femmes ministres et autres personnalités de premier plan dans l’engouement pour le blanchiment de la peau, elles qui exhibent fièrement leur peau jaune papaye. Les épouses des présidents Senghor et Wade n’étaient-elles d’ailleurs pas blanches et celle d’Abdou Diouf métisse ? « C’est comme si le premier canon de beauté au Sénégal était le teint métis ou khessalisé, quelle attitude aliénante et complexée au pays de la teranga », insiste encore Amadou Bakhaw Diaw sur son blog.

Cette publicité pro-dépigmentation a également inspiré l’ex-journaliste vedette de Jeune Afrique Francis Kpatindé qui signe une tribune sur le site Afriquinfos, dont il est le rédacteur en chef. Sous le titre « Sénégal : cherche Africaine désespérément ! », il raconte comment, après deux décennies passées à sillonner le continent africain, il est parvenu à la conclusion que l’Africaine, telle qu’il l’imagine, c'est-à-dire « bien dans sa tête et dans sa peau, fière d’être comme dame nature l’a conçue » a cessé d’exister. « Avec un épiderme décapé ou passé au mixer et des cheveux d’importation, l’Africaine a donc vécu », se désole-t-il, tout en se réjouissant toutefois de la mobilisation citoyenne qui a embrasé le Sénégal à la vue de ces photos de femme ni blanche ni noire, mais avec un côté alien à la Michael Jackson, un peu inquiétant, qui ont envahi les rues de Dakar. (publié dans le quotidien Fraternité Matin, Abidjan (21.9.2012)

 

09/09/2012

Le paradis, c'est ailleurs ?

Par Catherine Morand, journaliste

Lydie est Ivoirienne. Elle vit en Suisse à Fribourg, s'est mariée à un Helvète dont elle est aujourd'hui séparée, et s'occupe de son fils qu'elle a fait venir d'Abidjan. Elle bosse dur, des horaires de dingue, des montagnes de factures à payer chaque mois. Et en prime, sa famille qui appelle non stop d'Abidjan ou du village pour lui demander d'envoyer de l'argent. " Je ne peux même pas imaginer que tu sois en Europe, et que moi je sois là à souffrir comme ça", lui a récemment dit sa tante, et ça lui a fait mal. Pourtant, elle n'arrête pas d'envoyer de l'argent, mais on dirait que ça n'est jamais assez ; que là-bas, ils ne sont jamais contents. Lorsqu'elle est rentrée au pays pour les funérailles d'un membre de sa famille, c'est elle qui a tout payé. Mais ça n'a pas empêché ses parents au village de la harceler. " Toi, en Europe ! Mais pourquoi toi ? Nous ici, on a fait des sacrifices jusqu'ààà, et on n'est même pas arrivé jusqu'à Abidjan ", lui ont-ils crié. Quant à son oncle, il lui a carrément demandé de montrer son passeport pour vérifier si elle vivait réellement en Suisse ; et non pas cachée à Abidjan, mentant pour " faire malin sur eux ».

Lydie aimerait bien ne pas être touchée par la jalousie et la méchanceté de ses proches. Mais elle n'y arrive pas. Alors parfois, lorsque son coeur est trop lourd, et que ça lui pèse, elle raconte à ses amis suisses tous ces gens qui passent leur temps à la critiquer au pays, à dire qu'elle est méchante et égoïste, car elle a tout et eux rien; oubliant qu'à chacune de ses tanties, elle a envoyé de l'argent pour démarrer un petit commerce. Mais une semaine après, pschiiiiit, plus rien, tout s'était envolé, et il a fallu recommencer à donner… Lorsqu'en Suisse, elle se lève à l'aube, dans le froid et la nuit, pour se rendre à son travail, pénible, fatiguant, mal payé, elle pense souvent à tous ses cousins, garés à la maison, qui attendent tout des autres et rien d'eux-mêmes. Convaincus qu'un jour, la route se libérera pour eux aussi, et qu'ils partiront en Europe.

Les Ivoiriens que Lydie côtoie en Suisse, ce n'est pas ça non plus. Lorsqu'ils reviennent d'Abidjan, ils n'arrêtent pas de critiquer, de dire que le pays est devenu sale, que les maisons et les routes sont gâtées. " Ils feraient mieux d'encourager les gens à arranger, plutôt que de toujours critiquer ", regrette-t-elle. En fait, Lydie en veut beaucoup à tous ces Ivoiriens qui rentrent au pays en faisant les malins avec leurs blousons et leurs bottines, à tous ces " Parigots " avec leurs impers qui paradent sous la pluie au mois d'août lorsqu'ils sont en vacances à Abidjan, et qui font croire à leur entourage que là-bas, en Europe, c'est le paradis.

Bon, c'est vrai que si l'on y regarde de plus près, chacun de nous a dans sa tête un ailleurs meilleur, un paradis qui n'a rien à voir avec chez lui. Nous pouvons même passer à côté de notre vie et de l'endroit qui nous a vus naître, parce que dans notre tête, on est toujours ailleurs. J'y pensais l'autre jour à Genève en voyant déambuler des jeunes accoutrés comme les rappeurs américains qu'ils voient à longueur de clips évoluer sur MTV. Dans leur tête, c'est sûr, la Suisse, l'Europe, ça ne vaut rien. Ce sont les Etats-Unis et leurs rappeurs en casquette, les pantalons à mi-fesses, l'air déglingué, qui sont au top. Ces jeunes vivent à Genève, mais se rêvent à New York, projetés dans leur Amérique imaginaire, les écouteurs vissés sur les oreilles, avec de la musique US à plein tube. A chacun son rêve d'un ailleurs meilleur, donc. Dommage. Car à force d'imaginer que c'est mieux ailleurs, on se prive non seulement d'apprécier ce qu'on a chez soi. Mais aussi de se bouger pour faire changer les choses, pour que chez soi devienne meilleur, et trouver sa propre voie.

Il faut dire que c'est tellement plus facile d'imaginer qu'ailleurs, c'est mieux, et qu'un jour on arrivera là-bas, plutôt que de tout faire pour que là où l'on vit, ça devienne tellement bien, qu'on n'ait plus besoin de rêver d'aller vivre ailleurs. (paru dans le quotidien Fraternité Matin, Abidjan)

 

 

 

29/08/2012

L'Afrique dit non aux OGM

Par Catherine Morand, journaliste

« Depuis quelques années, nous assistons à une véritable agression de nos paysans, de nos chercheurs, mais aussi de nos responsables politiques, afin qu’ils ouvrent toute grande la porte de l’Afrique aux OGM (organismes génétiquement modifiés)». J’ai rencontré dernièrement l’auteur de cette affirmation, une scientifique malienne, Assétou Samaké, biologiste, généticienne et professeur à l’Université de Bamako. Femme pressée, énergique, brillante, elle sillonne l’Afrique de l’Ouest, avec un message clair : pour elle, ainsi que pour les membres de la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (COPAGEN), dont elle fait partie, les semences transgéniques que les grandes compagnies agrochimiques comme Monsanto, Syngenta et les autres, veulent imposer à l’Afrique, sont une imposture.

Elle évoque ces rencontres organisées aussi bien sur le continent africain qu’aux Etats-Unis, auxquelles sont conviés à grands frais des chefs d’Etats, des ministres de l’agriculture, ainsi que des responsables de centre de recherche ou des leaders d’associations paysannes, pour leur expliquer que l’agriculture africaine a besoin des OGM et que la recherche agricole, sur le continent, doit aller dans ce sens. « On les invite, on les loge dans les plus grands hôtels, on leur montre de grands champs de coton ou de soja transgéniques, et à leur retour, ils ne jurent que par les OGM », dénonce Assétou Samaké, qui n’hésite pas à parler d’une forme de « corruption idéologique ».

Du coup me raconte-t-elle, le peu de ressources financières consacrées à la recherche scientifique sur le continent africain est  réorienté vers les OGM et les biotechnologies . « Il s’agit là d’un détournement de ressources, car les besoins des paysans africains qui assurent la majorité de la production alimentaire ne se situent pas là ».

Reste que dans un contexte de grande précarité économique, il est difficile pour un chercheur bien formé, mais privé de crédits, de résister aux fonds colossaux mis à la disposition par Monsanto, Syngenta, mais aussi l’USAID, ou encore l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), pour faire de la recherche sur des variétés de mil, de sorgho ou de maïs transgéniques. « Après la corruption idéologique de nos dirigeants vient la corruption financière de nos chercheurs », dénonce Assétou Samaké ».

Elle évoque avec un brin de nostalgie la situation qui prévalait dans les années 60-70. Les Etats africains misaient alors sur l’autosuffisance alimentaire et une valorisation des ressources génétiques nationales. « Nous disposions alors de structures de recherches dignes de ce nom, qui avaient été nationalisées après les indépendances, explique-t-elle. La recherche agricole nationale a obtenu des résultats intéressants dans l’amélioration de nos semences locales, adaptées à notre contexte ». Puis vint le temps des ajustements structurels du FMI et de la Banque mondiale, avec des coupes importantes dans le budget de la recherche ; et une réorientation des politiques agricoles. « On n’a plus alors parlé d’autosuffisance alimentaire, mais de sécurité alimentaire, en clair, on nous a dit : « Mangez ce qu’on vous apporte et taisez-vous ! Ne demandez pas d’où viennent les semences, nous nous occupons de tout ».

Pour cette scientifique brillante, le fait que l’Afrique perde de plus en plus le contrôle de ses programmes de recherche scientifique, de ses ressources génétiques, de ses semences, de ses choix même en matière d’alimentation, représente une douleur, une catastrophe. Elle tente d’en savoir le plus possible sur ce qui se concocte dans les laboratoires pour modifier génétiquement de variétés africaines dont les semences devront être rachetées chaque année au prix fort par les paysans. « Nous avons beaucoup de peine à obtenir les informations sur ce qui se trame dans les laboratoires de recherche, regrette-t-elle. Nous devons recouper les témoignages de paysans, de chercheurs. ».

C’est ainsi qu’elle a appris l’existence d’un sorgho génétiquement modifié développé par Syngenta en Suisse, avant d’être expérimenté en Afrique du Sud. Ou encore de niébé, qui fait l’objet d’expérimentations dans des laboratoires au Burkina Faso, pays devenu lui-même un véritable laboratoire pour toutes sortes d’expériences transgéniques, et ce dans l’opacité la plus totale. « Les tests sur les OGM sont cachés dans nos pays, parce que leurs promoteurs savent qu’il y a de la résistance », conclut-elle, bien décidée à tout faire pour accroître cette résistance.