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15/06/2013

Chine Afrique : je t'aime moi non plus

Par Catherine Morand, journaliste

En un peu plus d’une décennie, la Chine a fait une percée spectaculaire sur le continent africain. Pour faire tourner « l’usine du monde », la Chine a en effet besoin de pétrole, de fer, de cuivre, de nickel, de cobalt, de bauxite, d’uranium, sans oublier le coton et le bois, et fait son marché en Afrique, qui en regorge.

Les consommateurs africains se ruent par ailleurs – comme le reste du monde – sur l’électroménager, les chaussures, les tissus, les jouets, et tous les produits de consommation « made in China », moins chers.

Et ce sont également les sociétés chinoises qui se voient confier la construction de routes, de ponts et d’autres grands chantiers, au nez et à la barbe d’entreprises de bâtiments et travaux publics occidentales, qui se font damer le pion sur des marchés qui furent longtemps considérés comme captifs.

Dans un premier temps, les pays occidentaux, mauvais perdants, n’ont eu de cesse de critiquer la Chine, l’accusant pêle-mêle de piller les richesses de l’Afrique ou encore d’octroyer des prêts sans les « conditionner » à une bonne gouvernance ou au respect des droits de l’homme. Tant que les critiques n’émanaient que des ex-colonisateurs, les Chinois laissaient dire et se contentaient de rappeler « le passé colonial de l’Europe, fait d’esclavagisme et d’exploitation des ressources naturelles », selon les termes de l’ex-ambassadeur chinois auprès de l’Union européenne Chan Chengyuan.

Mais lorsqu’au mois de mars dernier,  l’éminent gouverneur de la Banque centrale du Nigeria Lamido Sanusi a déclaré au Financial Times que « l'Afrique doit se débarrasser de sa vision romantique de la Chine et accepter le fait que Beijing est capable de mener les mêmes pratiques d'exploitation que les anciennes puissances coloniales», ses déclarations ont fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le ciel de l’amitié sino-africaine. En juillet 2012 à Pékin, le président sud-africain Jacob Zuma avait déjà mis en garde contre les risques d’une relation commerciale déséquilibrée, pas viable sur le long terme, dans laquelle l’Afrique fournit avant tout des matières premières : «L’expérience économique de l’Afrique avec l’Europe par le passé appelle à la prudence», avait-il insisté.

Que des voix aussi autorisées expriment de telles réserves à l’égard de ce qu’il est convenu d’appeler la « Chinafrique » est un signal fort, que les autorités chinoises, au plus haut niveau, semblent vouloir prendre au sérieux. C’est ainsi que lors de son premier voyage officiel en Afrique, dix jours seulement après sa nomination, le président Xi Jiping a recommandé aux entreprises chinoises d’être plus soucieuses du tissu social, en engageant par exemple davantage de personnel local. Il faut dire que les flots incessants de travailleurs chinois qui débarquent jusqu’au fin fond de la brousse représentent une source de tension avec la population.

On reproche également aux Chinois d’avoir porté un coup fatal à de petites et moyennes industries, dans le secteur du meuble ou du textile par exemple, en inondant le continent de produits à prix cassés, pas toujours de bonne qualité. Ainsi que de se positionner y compris au cœur du petit commerce et du secteur informel.  « Les Chinois sont les bienvenus comme investisseurs, mais pas comme commerçants ambulants ou vendeurs de beignets », a récemment déclaré un acteur économique sénégalais. Ni comme mineurs clandestins dans des mines d’or illégales, serait-on tenté d’ajouter, en référence aux récents événements survenus au Ghana, qui ont conduit à l’arrestation de 124 mineurs chinois, qui risquent d’être expulsés.

D’autres pays ont également été le théâtre d’incidents. Le plus grave est survenu au août 2012 en Zambie, où des ouvriers en grève avaient tué le gérant chinois d’une mine. Peut-on parler pour autant de l’émergence d’un sentiment anti-chinois en Afrique ? Cela semble pour l’heure exagéré, même si après dix ans de lune de miel, un nombre croissant de voix africaines se font entendre pour mettre en garde contre les risques d’une néo-colonisation de leur continent par l’Empire du Milieu.  (Publié dans le quotidien Fraternité Matin, Abidjan, Côte d'Ivoire), le 14 juin 2013).

 

06/06/2013

Après le discount alimentaire, le low cost funéraire

Par Catherine Morand, journaliste

Si les valeurs d’une société s’évaluent aussi à l’aune de la manière dont elle enterre ses morts, nous avons peut-être du souci à nous faire. Car les enterrements « low cost » sont désormais une tendance lourde dans des pays comme l’Allemagne – mais aussi ailleurs en Europe - où ils représentent déjà un quart du marché.  L’entreprise berlinoise de pompes funèbres « SargDiscount » (« Cercueildiscount »), pionnière en la matière, propose une offre à prix cassé, en recourant à des termes qu’on croyait jusqu’alors réservés à la grande distribution, et qu’on n’avait pas encore osé utiliser pour promouvoir des services funéraires.

« Si vous trouvez moins cher ailleurs, nous remboursons la différence, plus 30 euros », clame ainsi la publicité de « SargDiscount »  qui propose des enterrements clé en main à partir de 479 euros, un prix bien inférieur à celui de la moyenne nationale qui oscille entre 2800 et 3500 euros. Son patron Hartmut Woite explique clairement à qui veut l’entendre que son modèle est la chaîne de distribution Aldi, qui fait du discount alimentaire dans toute l’Europe. « Nous avons voulu essayer de voir si le concept pouvait marcher dans le secteur des pompes funèbres », explique-t-il sans état d’âme, avant de se réjouir :  « Cela fonctionne bien, et, avec la crise, nous avons toujours davantage de clients ».

Avec la paupérisation galopante de nombreuses familles, cette tendance se retrouve également en France, où la Ville de Paris propose depuis la fin de l’année dernière un ultime voyage au prix défiant toute concurrence funéraire de 789 euros ; tandis que la première entreprise de pompes funèbres parisienne à offrir du « low cost » clame dans sa publicité que « Mourir ne doit plus être un luxe ».  En Belgique aussi, le marché funéraire est en pleine mutation : depuis la dernière fête de la Toussaint en 2012, le site www.budget-funerals.be propose pour la toute première fois des funérailles au prix imbattable de 995 € TTC pour une inhumation et 1’595 € TTC  pour une crémation. Un nombre croissant de Belges y ont recourt. Une enquête menée dans le pays évoque clairement la précarité pour expliquer le recours à des funérailles bon marché, mais aussi une relation familiale distante ou encore l’éloignement géographique.

Pour parvenir à des prix défiant toute concurrence, la « délocalisation » est de rigueur. Est-ce davantage choquant car il s’agit de la mort ? Toujours est-il que l’entreprise de pompes funèbres berlinoise commande par centaines ses cercueils dans des pays où les salaires sont bas, en Europe de l’Est, en Pologne et en Tchéquie, jusqu’en Ukraine. Les cercueils « made in China » ne devraient pas tarder.  « SargDiscount » propose également une délocalisation des incinérations dans un crématorium situé de l’autre côté de la frontière, en République tchèque, dont les tarifs sont bien inférieurs. Avec possibilité de disperser les cendres dans la nature, ce qui est bien plus compliqué en Allemagne. Le patron de la société fait en tout cas une fois par semaine le trajet avec son chargement de cadavres,  pour les faire incinérer de l’autre côté de la frontière.

Je ne sais pas pourquoi, mais ces infos, bien glauques, m’ont particulièrement plombé le moral. Du coup, j’ai repensé à ces enterrements flamboyants, sous d’autres cieux, où les familles, même si elles disposent, à la base, de moyens financiers bien plus modestes, n’hésitent pas à s’endetter  pour assurer des funérailles grandioses à leurs proches, veillent, pleurent, dansent, boivent pendant plusieurs jours. Petite question : assisterons-nous bientôt à un tourisme funéraire ? Après la « délocalisation » des retraités, qui s’installent sous d’autres cieux plus cléments pour passer leurs dernières années sur Terre, choisirons-nous bientôt des funérailles sous les tropiques, pour bénéficier d’une cérémonie plus digne et plus gaie que celle d’une crémation à prix cassé ? (publié le 7 juin dans le quotidien Le Courrier, Genève)

17/05/2013

Avec ou sans pub ?

Par Catherine Morand, journaliste

Imaginons la ville d’Abidjan sans les panneaux publicitaires géants qui caractérisent son paysage urbain, longent les abords de ses artères, ou recouvrent les murs de ses immeubles. Inimaginable ? Pas si sûr.

C’est que sous d’autres cieux - le saviez-vous ? -  existe une mégalopole de 11 millions d’habitants, sans aucune publicité dans les rues. Pas le moindre petit panneau géant vantant les mérites d’une boisson gazeuse à l’horizon, aucun slogan sur les bus, ni de message défilant sur des panneaux lumineux. Des murs vides, no logo. Bienvenue à Sao Paulo ! Cela fait en effet depuis le mois de janvier 2007 que les habitants de la capitale économique du Brésil vivent dans une cité aux murs et aux vitrines dépouillés de toute image ou slogan à caractère commercial.

Auparavant, Sao Paulo était elle aussi saturée de panneaux publicitaires, recouverte d’affiches, souvent posées en toute illégalité. On parle alors de cinq millions d’affiches pour 20 millions d’habitants… On frise l’asphyxie. Pour reprendre la main face à une situation devenue incontrôlable, le maire de la ville prend alors une décision radicale : l’interdiction de toute publicité sur la voie publique, du jamais vu.

L’année dernière, ils étaient toujours 70% à juger « bénéfique » le choc décidé par le maire d’alors Gilberto Kassab, pourtant loin d’être un adversaire de la société de consommation, mais qui avait lancé son programme « Ville propre » pour lutter contre ce qu’il qualifiait de « pollution visuelle » . Sa loi interdisant tout affichage publicitaire dans l’espace public avait été votée à une majorité écrasante par 45 élus contre 1. Et en quelques semaines, les milliers de panneaux qui recouvraient la ville avaient été retirés. Et les récalcitrants amendés.

Six ans plus tard, le paysage urbain est déroutant. Sao Paulo est certes débarrassée de toute trace de pub et la population apprécie ce nouvel environnement apaisé, qui lui a permis de redécouvrir l’architecture de sa ville. Mais les structures qui abritaient les panneaux publicitaires n’ont pas toutes disparu. Ces grands cadres vides, ces toiles d’araignée métalliques, inutiles, donnent à la métropole un petit air de science-fiction. Les rues, privées d’enseignes lumineuses, sont devenues moins sûres.Certains trouvent même à Sao Paulo un air un peu triste, un côté pays de l’Est avant la chute du Mur de Berlin. Aussi la mairie a-t-elle entrepris d’ « d’habiller »  les façades nues de la ville en recourant à  des photographies, des graffitis, des sculptures ou encore à des installations lumineuses.

Reste que la capitale économique du Brésil demeure pour l’heure la seule à avoir adopté des mesures aussi radicales. Certes, en Argentine, Buenos Aires réfléchit elle aussi à limiter l’emprise publicitaire sur la ville. En Italie, les Romains ont manifesté à plusieurs reprises contre l’invasion des panneaux publicitaires. Et Paris tente de réduire la densité des pubs dans les rues de la capitale. Mais une interdiction totale n’est nulle part à l’ordre du jour.

Au contraire. Dans les capitales de l’ex-bloc de l’Est, longtemps exemptes de pub, les immeubles du centre ville sont souvent recouverts de panneaux publicitaires tellement gigantesques que les médias nationaux s’en sont émus. Et ont dénoncé le calvaire enduré par exemple par les habitants de la capitale polonaise Varsovie, contraints de vivre fenêtres fermées derrière des bâches à l’effigie de George Clooney vantant une marque de café ou celle d’un parfum glamour. Les grandes métropoles asiatiques sont également au bord de l’étouffement. A Shangaï, le long du trajet menant de l’aéroport de Pudong au centre ville, les panneaux publicitaires, sur certains tronçons, sont tellement élevés, qu’ils masquent le paysage.

Mais les panneaux gigantesques placardés dans les villes servent parfois à faire passer d’autres messages. En Chine, ils sont utilisés pour lutter contre la corruption. Aux USA, les photos de criminels recherchés sont affichées sur des supports électroniques. Et en 1969, en pleine guerre du Vietnam, le Beatle John Lennon et sa femme Yoko Ono faisaient placarder dans une douzaine de capitales des panneaux géants où l’on pouvait lire : « LA GUERRE EST FINIE ! Si vous le voulez». (publié dans le quotidien Fraternité Matin (Abidjan) du 17.5.203)