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06/06/2013

Après le discount alimentaire, le low cost funéraire

Par Catherine Morand, journaliste

Si les valeurs d’une société s’évaluent aussi à l’aune de la manière dont elle enterre ses morts, nous avons peut-être du souci à nous faire. Car les enterrements « low cost » sont désormais une tendance lourde dans des pays comme l’Allemagne – mais aussi ailleurs en Europe - où ils représentent déjà un quart du marché.  L’entreprise berlinoise de pompes funèbres « SargDiscount » (« Cercueildiscount »), pionnière en la matière, propose une offre à prix cassé, en recourant à des termes qu’on croyait jusqu’alors réservés à la grande distribution, et qu’on n’avait pas encore osé utiliser pour promouvoir des services funéraires.

« Si vous trouvez moins cher ailleurs, nous remboursons la différence, plus 30 euros », clame ainsi la publicité de « SargDiscount »  qui propose des enterrements clé en main à partir de 479 euros, un prix bien inférieur à celui de la moyenne nationale qui oscille entre 2800 et 3500 euros. Son patron Hartmut Woite explique clairement à qui veut l’entendre que son modèle est la chaîne de distribution Aldi, qui fait du discount alimentaire dans toute l’Europe. « Nous avons voulu essayer de voir si le concept pouvait marcher dans le secteur des pompes funèbres », explique-t-il sans état d’âme, avant de se réjouir :  « Cela fonctionne bien, et, avec la crise, nous avons toujours davantage de clients ».

Avec la paupérisation galopante de nombreuses familles, cette tendance se retrouve également en France, où la Ville de Paris propose depuis la fin de l’année dernière un ultime voyage au prix défiant toute concurrence funéraire de 789 euros ; tandis que la première entreprise de pompes funèbres parisienne à offrir du « low cost » clame dans sa publicité que « Mourir ne doit plus être un luxe ».  En Belgique aussi, le marché funéraire est en pleine mutation : depuis la dernière fête de la Toussaint en 2012, le site www.budget-funerals.be propose pour la toute première fois des funérailles au prix imbattable de 995 € TTC pour une inhumation et 1’595 € TTC  pour une crémation. Un nombre croissant de Belges y ont recourt. Une enquête menée dans le pays évoque clairement la précarité pour expliquer le recours à des funérailles bon marché, mais aussi une relation familiale distante ou encore l’éloignement géographique.

Pour parvenir à des prix défiant toute concurrence, la « délocalisation » est de rigueur. Est-ce davantage choquant car il s’agit de la mort ? Toujours est-il que l’entreprise de pompes funèbres berlinoise commande par centaines ses cercueils dans des pays où les salaires sont bas, en Europe de l’Est, en Pologne et en Tchéquie, jusqu’en Ukraine. Les cercueils « made in China » ne devraient pas tarder.  « SargDiscount » propose également une délocalisation des incinérations dans un crématorium situé de l’autre côté de la frontière, en République tchèque, dont les tarifs sont bien inférieurs. Avec possibilité de disperser les cendres dans la nature, ce qui est bien plus compliqué en Allemagne. Le patron de la société fait en tout cas une fois par semaine le trajet avec son chargement de cadavres,  pour les faire incinérer de l’autre côté de la frontière.

Je ne sais pas pourquoi, mais ces infos, bien glauques, m’ont particulièrement plombé le moral. Du coup, j’ai repensé à ces enterrements flamboyants, sous d’autres cieux, où les familles, même si elles disposent, à la base, de moyens financiers bien plus modestes, n’hésitent pas à s’endetter  pour assurer des funérailles grandioses à leurs proches, veillent, pleurent, dansent, boivent pendant plusieurs jours. Petite question : assisterons-nous bientôt à un tourisme funéraire ? Après la « délocalisation » des retraités, qui s’installent sous d’autres cieux plus cléments pour passer leurs dernières années sur Terre, choisirons-nous bientôt des funérailles sous les tropiques, pour bénéficier d’une cérémonie plus digne et plus gaie que celle d’une crémation à prix cassé ? (publié le 7 juin dans le quotidien Le Courrier, Genève)