12/04/2016
Le nouveau Sankara est-il Tanzanien ?
Depuis son élection à la tête de la Tanzanie à la fin de l’année dernière, le nouveau président John Magufuli enchaîne les actes symboliques forts visant à lutter contre la corruption, l’absentéisme, le gaspillage de l’argent public. Ainsi qu’à traquer les fraudes, y compris fiscale, afin de pouvoir consacrer davantage de moyens financiers à l’éducation et à la santé, sans recourir à « l’aide » internationale et endetter le pays davantage. Si bien qu’en Tanzanie, et au-delà, on parle désormais de lui comme d’un « nouveau Thomas Sankara », qui ambitionne de donner un « grand coup de balai », à son pays, au propre comme au figuré.
Dès le lendemain de son investiture, John Magufuli s’est rendu à pied jusqu’au ministère des finances pour une visite surprise, où il a trouvé un désordre indescriptible, avec des dossiers traînant un peu partout, et des bureaux vides. Grosse colère du nouveau président, qui n’est toutefois pas au bout de ses peines. A l’hôpital central de Dar-es-Salaam, où il se rend ensuite, les malades dorment par terre dans les couloirs. La pharmacie de l’hôpital est vide, contrairement à celles, privées, gérées par les médecins qui ont détourné les médicaments. Nouveau coup de sang présidentiel, qui licencie sur le champ le directeur de l’hôpital, ainsi que les fonctionnaires absents sans excuse valable.
Le 9 décembre 2015, jour de la fête nationale de l’indépendance, le nouveau président tanzanien décide de remplacer défilés militaires et démonstrations de danses traditionnelles par une séance nationale et collective de nettoyage, pour lutter contre le choléra qui sévit depuis plusieurs mois. Et lui-même montre l’exemple : sous les regards ravis d’une foule compacte, John Magufuli manie la pelle et ramasse les sachets en plastique et autres détritus qui polluent le marché situé dans les environs du palais présidentiel.
Même son prédécesseur, l’ex-président Jakya Kikwete, qui a quitté le pouvoir après les deux mandats qu’autorise la Constitution tanzanienne, a manié le balai dans sa ville natale de Chalinze, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Dar-es-Salaam ; et ne tarit pas d’éloges à l’égard de celui qui lui a succédé.
Le nouveau président surnommé « Bulldozer » a également multiplié les initiatives visant à combattre la corruption, une gageure dans un pays classé au 119e rang sur 175 des pays les plus corrompus par Transparency International. Et s’est aussi engagé à réduire le train de vie de l’Etat, ministres et présidence compris. Du coup, sur les réseaux sociaux, les internautes de Tanzanie et d’ailleurs s’enflamment, partagent leur enthousiasme pour ce nouveau président, qui semble vouloir casser tous les codes, et emprunter la voie tentée à la fin des années 80 par Thomas Sankara au Burkina Faso - mais guère suivie depuis lors.
Sur Twitter, le hashtag spécialement créé #WhatwouldMagufulido (« que ferait Magufuli à ma place ») remporte un franc succès. Avec beaucoup d’humour, les internautes déclinent des scènes banales ou extraordinaires de la vie quotidienne, en se demandant ce qu’aurait fait le président Magufuli à leur place. Certes, sur Facebook comme sur Twitter, certains parlent de mesures « déjà vues », qui ne durent jamais très longtemps. D’autres en revanche, dans les pays voisins, souhaiteraient par contre que l’effet Magufuli (#Magufulieffect) parviennent jusque chez eux.
Dans la presse nationale en tout cas, y compris en langue swahili, comme dans celle d’autres pays de la région, les médias établissent de plus en plus souvent un parallèle clair entre le nouveau président tanzanien et Thomas Sankara, dont le souvenir reste toujours aussi vif sur l’ensemble du continent, trois décennies après son assassinat. Le « Nairobi Business Monthly » du Kenya voisin titre ainsi : « Go Magufuli, go, and fulfill Thomas Sankara’s dream for Africa » (Vas-y Magufuli, fonce, et réalise le rêve de Thomas Sankara pour l’Afrique). Affaire à suivre.
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