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21/11/2014

La Tanzanie sous pression du lobby agrogénétique

La Tanzanie est devenue un terrain d’expérimentation pour des initiatives privées qui visent à transformer radicalement son agriculture. Multinationales et bailleurs de fonds multiplient les pressions pour que les autorités autorisent les OGM sans entraves.

La fondation Bill & Melinda Gates fait la promotion des OGM sur le continent africain.

Les millions d’hectares de terres fertiles que compte la Tanzanie suscitent de nombreuses convoitises. Alors que les petits paysans sont pour la plupart livrés à eux-mêmes et ne bénéficient d’aucun soutien, les autorités déploient de gros moyens pour attirer investisseurs étrangers et multinationales de l’agrobusiness. Un des projets phares promu par la Tanzanie est le «Southern Agricultural Growth Corridor of Tanzania (SAGCOT), concocté au Forum économique de Davos et appuyé par le G8, qui vise à créer sur des millions d’hectares une infrastructure industrielle, mise à la disposition de grands groupes étrangers, pour pratiquer des monocultures destinées à approvisionner le marché agricole mondial. «Les investisseurs qui disposent d’un bail visent à faire un maximum de profits en un minimum de temps, pour rentabiliser les fonds de pension qui leur sont confiés, mais que vont devenir les générations futures?», s’inquiète Nicola Morganti, spécialiste en agriculture, qui travaille pour des ONG en Tanzanie depuis plusieurs années.

Perdre sa terre, c’est perdre sa dignité

Pour Jordan Gama, directeur de TOAM, le Tanzania Organic Agriculture Movement (Mouvement tanzanien pour l’agriculture organique), le modèle d’une agriculture industrielle, confiée à des investisseurs étrangers, est une impasse. «Dans un pays où 80% de la population dépend de l’agriculture, que vont devenir les générations futures, privées de terres?». Il cite la Zambie voisine, qu’il connaît bien, «où les paysans dépendent de ce que leur paient les multinationales qui gèrent l’agriculture du pays». Résultat: leur situation s’est considérablement dégradée. «Ils vivent comme des sous-hommes. On voit ces familles vêtues de haillons, extrêmement maigres, au bord des grandes plantations; en perdant leurs terres, ils ont aussi perdu leur dignité», témoigne-t-il.

 Le tout puissant lobby pro-OGM

Outre l’offensive sur les terres, les pressions s’accentuent auprès des autorités pour qu’elles autorisent l’utilisation des semences transgéniques, et l’introduction d’organismes génétiquement modifiés (OGM) en Tanzanie. «Les pressions sont exercées par des compagnies telles que Monsanto, Syngenta et d’autres, mais aussi des bailleurs de fonds comme l’USAID, la Banque mondiale, la Fondation Bill et Melinda Gates, témoigne Audax Rukonge, le directeur de l’ANSAF, l’Agricultural Non State Actors Program, partenaire de SWISSAID. Ce qui le met hors de lui, c’est l’énergie déployée par le lobby pro-OGM pour supprimer la clause de responsabilité de la législation en vigueur, qui rend les multinationales agrochimiques responsables d’éventuels dommages futurs causé par l’introduction d’OGM. «Pourquoi les compagnies ne veulent-elles pas de cette clause? s’insurge Audax Rukonge. Probablement parce qu’elles ne sont pas sûres de leur technologie génétique qu’ils veulent à tout prix nous imposer».

Vandana Shiva à la rescousse

C’est dans ce contexte que s’est formée l’Alliance tanzanienne pour la biodiversité (Tanzania Alliance for Biodiversity (TABIO), qui regroupe une vingtaine d’organisations de la société civile. Cette Alliance prend régulièrement position en faveur d’une agriculture familiale, et dénonce l’acharnement à vouloir imposer une agriculture industrielle et génétiquement modifiée. Au mois de juin dernier, TABIO a ainsi organisé la venue dans la capitale Dar-es-Salaam de la célèbre activiste indienne Vandana Shiva, pour témoigner du désastre que représente, pour l’Inde, l’introduction de coton génétiquement modifié. Le lobby pro-OGM en Tanzanie a violemment critiqué sa venue et la conférence qu’elle a tenue devant une salle comble.

TABIO fait également un travail de veille, en alertant par exemple l’opinion publique sur le fait que des corn flakes importés d’Afrique du Sud et vendus dans les supermarchés en Tanzanie sont fabriqués à partir de maïs transgénique, ce que la loi interdit. Cette découverte a été l’occasion pour TABIO d’appeler à nouveau à un vaste débat national sur les OGM, et dénoncer les pressions continues exercées sur le gouvernement par les compagnies et les bailleurs de fonds pour introduire sans entraves les OGM en Tanzanie.

Des pressions sur toute l’Afrique pour introduire des OGM

Le cas de la Tanzanie n’est pas isolé sur le continent africain, lequel doit faire face à des pressions de tous côtés. Les ambassades des Etats-Unis jouent souvent un rôle actif, n’hésitant pas, comme cela a été le cas au Ghana, à s’impliquer dans la rédaction des lois sur la biosécurité pour qu’elles soient favorables aux fabricants d’OGM. La Fondation Bill et Melinda Gates finance également dans de nombreux pays africains des recherches sur le génie génétique, à travers l’Alliance pour une Révolution verte en Afrique (AGRA), présidée pendant plusieurs années par l’ex-secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan. Le Burkina Faso est devenu le fer de lance de Monsanto, Syngenta et de quelques autres en Afrique de l’Ouest, et s’est transformé en un vaste champ d’expérimentation pour l’introduction de cultures transgéniques. L’Afrique du Sud cultive également des OGM, tandis que de nombreux autres pays – tel le Ghana où les opposants ont manifesté à plusieurs reprises – continuent à résister. Mais jusqu’à quand ?

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