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22/07/2016

Les festivals culturels pour conjurer l'adversité

 Au Mali, au début de cette année, deux mois seulement après l’attaque du Radisson Blu de Bamako qui avait causé la mort d’une vingtaine de personnes le 20 novembre 2015, le « Festival Acoustik Bamako » avait réuni des grands noms de la musique africaine et internationale. Quatre jours de concerts, donnés par des artistes qui avaient accepté de jouer gratuitement pour soutenir le Mali, toujours en état d’urgence, choqué par les événements dramatiques survenus à Bamako ; tandis que dans le nord du pays, les tensions demeurent vives. « Ce festival, c’est comme une renaissance, comme le retour du Mali vers la culture, vers les rencontres, avait alors déclaré le chanteur malien Habib Koité. C’est ce qu’on a l’habitude de faire ici, mais à un moment donné, on ne pouvait plus être hospitalier, on ne pouvait plus accueillir les gens », regrette-t-il, espérant que cette page sera bientôt tournée.

Gageons que lors du Festival des Arts de la Rue de Grand-Bassam qui se tiendra du 2 au 4 décembre 2016, les festivaliers auront une pensée émue pour les victimes de l’attaque meurtrière du 13 mars dernier sur les plages jouxtant ce même quartier France, où se déroulera le Festival. Soyons sûrs que les artistes présents auront à cœur de contribuer à tourner une page dramatique de l’histoire de la Côte d’Ivoire, en partageant leur art avec la population de Bassam et l’ensemble des Ivoiriens, durablement choqués par ces événements.

Quant au Fespaco, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou,  sa 25e édition se déroulera dans la capitale burkinabé du 25 février au 4 mars 2017, soit pratiquement une année après les attaques terroristes du 15 janvier 2016, qui avaient causé une trentaine de morts, lors de l’attaque du Splendid et du restaurant le Capuccino. Là aussi, cela sera l’occasion pour les participants, venus de partout, de témoigner leur solidarité avec le Burkina Faso. Espérons en tout cas que les festivaliers ne renonceront pas à cette belle fête du cinéma africain pour des questions de sécurité.

Les festivals culturels comme un pied de nez à l’adversité, à la peur de ces attaques qualifiés de « djihadistes », mais qui sont, le plus souvent, le fait de jeunes désaxés, en perdition, dont le lien avec la religion est plus que ténu ? La vie serait bien triste en tout cas si, en raison de ces attentats - qui frappent aveuglément y compris des lieux de concert, de détente tels que des cafés, des hôtels ou des plages, ou, encore, comme tout récemment à Nice, les festivités du 14 juillet, fête nationale -  les gens restaient terrés chez eux, fuyant les rassemblements, évitant au maximum les foules et les festivals culturels.

Peut-on imaginer sur la longueur que les plages de Bassam ou de Sousse en Tunisie demeurent désertes à jamais ? Que le Fespaco ne retrouve plus son public joyeux et avide de découvertes cinématographiques ? Que la salle de concert du Bataclan à Paris renonce à rouvrir en novembre prochain, et demeure à jamais fermée ? Que lors des fêtes nationales, les gens, traumatisés par le massacre survenus sur la Promenade des Anglais à Nice, préfèrent désormais regarder les feux d’artifice depuis chez eux, sur leur poste de télévision ?

« Il faut continuer à vivre », ont répété partout en France les élus locaux, traumatisés, comme tous les Français, par les massacres du 14 juillet. Il n’empêche que des événements culturels programmés pour cet été sont annulés, par crainte de ne pouvoir garantir des conditions de sécurité suffisantes pour prévenir de nouveaux drames. D’autres sont maintenus, avec une sécurité renforcée, et une minute de silence au début du concert.

Face aux risques potentiels, ministres de la culture et élus locaux s’interrogent désormais, doivent décider si oui ou non, avec quels risques. La ministre française de la Culture Audrey Azoulay a, elle, encouragé le maintien des rendez-vous culturels agendés pour ces prochains mois : "Plus que jamais, nous devons défendre la place de la culture dans notre société et sa capacité de rassemblement autour de propositions d'artistes", a-t-elle réagi, notant le "défi de rester unis et de ne céder en rien".

12/04/2016

Le nouveau Sankara est-il Tanzanien ?

 

sankaraJohn Pombe Magufuli. 1

Depuis son élection à la tête de la Tanzanie à la fin de l’année dernière, le nouveau président John Magufuli enchaîne les actes symboliques forts visant à lutter contre la corruption, l’absentéisme, le gaspillage de l’argent public. Ainsi qu’à traquer les fraudes, y compris fiscale, afin de pouvoir consacrer davantage de moyens financiers à l’éducation et à la santé, sans recourir à « l’aide » internationale et endetter le pays davantage. Si bien qu’en Tanzanie, et au-delà, on parle désormais de lui comme d’un « nouveau Thomas Sankara », qui ambitionne de donner un « grand coup de balai », à son pays, au propre comme au figuré.

Dès le lendemain de son investiture, John Magufuli s’est rendu à pied jusqu’au ministère des finances pour une visite surprise, où il a trouvé un désordre indescriptible, avec des dossiers traînant un peu partout, et des bureaux vides. Grosse colère du nouveau président, qui n’est toutefois pas au bout de ses peines. A l’hôpital central de Dar-es-Salaam, où il se rend ensuite,  les malades dorment par terre dans les couloirs. La pharmacie de l’hôpital est vide, contrairement à celles, privées, gérées par les médecins qui ont détourné les médicaments. Nouveau coup de sang présidentiel, qui licencie sur le champ le directeur de l’hôpital, ainsi que les fonctionnaires absents sans excuse valable.

Le 9 décembre 2015, jour de la fête nationale de l’indépendance, le nouveau président tanzanien décide de remplacer défilés militaires et démonstrations de danses traditionnelles par une séance nationale et collective de nettoyage, pour lutter contre le choléra qui sévit depuis plusieurs mois. Et lui-même montre l’exemple : sous les regards ravis d’une foule compacte, John Magufuli manie la pelle et ramasse les sachets en plastique et autres détritus qui polluent le marché situé dans les environs du palais présidentiel.

Même son prédécesseur, l’ex-président Jakya Kikwete, qui a quitté le pouvoir après les deux mandats qu’autorise la Constitution tanzanienne, a manié le balai dans sa ville natale de Chalinze, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Dar-es-Salaam ; et ne tarit pas d’éloges à l’égard de celui qui lui a succédé.

Le nouveau président surnommé « Bulldozer » a également multiplié les initiatives visant à combattre la corruption, une gageure dans un pays classé au 119e rang sur 175 des pays les plus corrompus par Transparency International. Et s’est aussi engagé à réduire le train de vie de l’Etat, ministres et présidence compris. Du coup, sur les réseaux sociaux, les internautes de Tanzanie et d’ailleurs s’enflamment, partagent leur enthousiasme pour ce nouveau président, qui semble vouloir casser tous les codes, et emprunter la voie tentée à la fin des années 80 par Thomas Sankara au Burkina Faso - mais guère suivie depuis lors.

Sur Twitter, le hashtag spécialement créé  #WhatwouldMagufulido (« que ferait Magufuli à ma place ») remporte un franc succès. Avec beaucoup d’humour, les internautes déclinent des scènes banales ou extraordinaires de la vie quotidienne, en se demandant ce qu’aurait fait le président Magufuli à leur place. Certes, sur Facebook comme sur Twitter, certains parlent de mesures « déjà vues », qui ne durent jamais très longtemps. D’autres en revanche, dans les pays voisins, souhaiteraient par contre que l’effet Magufuli (#Magufulieffect) parviennent jusque chez eux.

Dans la presse nationale en tout cas, y compris en langue swahili, comme dans celle d’autres pays de la région, les médias établissent de plus en plus souvent un parallèle clair entre le nouveau président tanzanien et Thomas Sankara, dont le souvenir reste toujours aussi vif sur l’ensemble du continent,  trois décennies après son assassinat. Le « Nairobi Business Monthly » du Kenya voisin titre ainsi : « Go Magufuli, go, and fulfill Thomas Sankara’s dream for Africa » (Vas-y Magufuli, fonce, et réalise le rêve de Thomas Sankara pour l’Afrique).  Affaire à suivre.

 

07/02/2016

Soro Solo, flamboyant ambassadeur du continent africain

Un parcours époustouflant, qui force l’admiration : grâce à son talent, sa persévérance, son enthousiasme, Soro Solo et devenu l’un des meilleurs ambassadeurs de la Côte d’Ivoire et du continent africain, en France et au-delà. L’émission « L’Afrique enchantée », qu’il a animée chaque dimanche pendant presque dix ans, de 2006 à 2015, sur les ondes de France Inter, aux côtés de son complice Vladimir Cagnolari, est devenue l’émission la plus écoutée des grandes radios nationales françaises, sur cette tranche horaire, après Rtl et avant Europe 1, avec une moyenne de 350 000 auditeurs. Depuis l’été 2015, Soro Solo poursuit seul l’aventure en animant « L’Afrique en solo », avec le même taux d’écoute spectaculaire.

« Le Grognon ». Petit retour en arrière. Nous sommes à la fin des années 1980, le vent de la démocratisation souffle sur la Côte d’Ivoire. Coulibaly Souleymane, qui anime la Matinale sur les ondes de la radio nationale, lance une nouvelle chronique, « Le Grognon » qui permet aux auditeurs de « grogner » un peu en direct, de partager leurs soucis, leur colère, lorsque, par exemple, ils se font racketter par un agent des forces de l’ordre ; ou lorsqu’un parent décède faute de soins payés cash et d’avance. Un ton et une liberté inhabituelles, qui marqueront les esprits, et feront aussi grincer quelques dents : les suspensions d’antenne se multiplient pour le journaliste, Prix Ebony en 1993 et 1994, qui voit un jour des soldats débarquer dans le studio…

Cela ne l’empêche pas de multiplier les collaborations avec des médias internationaux, en collaborant notamment à l’émission « Taxi Brousse » animée par la journaliste Sylvie Coma sur Rfi. Mais par amour pour son pays et par devoir envers ses compatriotes, il déclinera systématiquement les propositions de collaboration à l’étranger, s’estimant plus utile en Côte d’Ivoire, et aussi « redevable aux contribuables ivoiriens de lui avoir permis de bénéficier d’une formation à l’Ina », explique-t-il aujourd’hui.

Les chemins de l’exil. Durant la crise et les « événements » douloureux qui ont marqué tous les Ivoiriens, l’épisode le plus traumatisant vécu par Souleymane Coulibaly se déroule au cimetière de Williamsville en octobre 2002, à l’enterrement d’un membre de sa famille. Deux de ses cousins portant le même patronyme sont abattus à bout portant par un « escadron de la mort ». Lui-même, qui avait quitté les lieux une demi-heure avant, a eu la vie sauve, de justesse. Ses amis le supplient de partir, pour sauver sa peau. C’est donc la mort dans l’âme que Soro Solo – qui a repris le nom « Soro » de sa famille, originaire de Korhogo, avant la conversion de son père à l’islam – se résout à quitter sa chère Côte d’Ivoire. Et en janvier 2003, alors qu’il se trouve à Paris pour participer à l’assemblée générale d’ « Afrique en créations », le journaliste demande et obtient l’asile politique en France.

Comme pour tous les exilés, les débuts furent difficiles. Il est d’abord accueilli par Vladimir Cagnolari et sa famille, un journaliste français avec lequel il s’était lié d’amitié en 2001 à Bassam, lors du Festival des arts de la rue. Puis il sera pendant quelques mois résident à la « Maison des journalistes », le temps de prendre ses marques, de se reconstruire. A 50 ans, il repart à zéro. Soro Solo travaille énormément, court les rédactions, soumet des projets conçus pendant des nuits blanches.

Mais rien n’est facile, et ils sont nombreux, à Paris, les journalistes africains qui tentent de se (re)faire une place au soleil. Il fait des piges pour des magazines, décroche une chronique sur Rfi, intitulée « Je vous écris de France ». Mais c’est l’aventure de « L’Afrique enchantée » sur les ondes de France Inter (à ne pas confondre avec Rfi) qui le propulsera sur le devant de la scène ; et lui permettra de s’épanouir professionnellement, avant d’être récompensé par le « Grand Prix des radios francophones publiques » en 2009.

Tordre le cou aux préjugés sur l’Afrique. Soro Solo, en compagnie de son « frère blanc » Vladimir Cagnolari, part de la musique du continent pour raconter l’Afrique, sous toutes ses facettes, utilise des chansons mythiques pour incarner un pays, un thème, souvent en lien avec l’actualité - et tordre au passage le cou à une image parfois dévalorisée du continent. Solo et Vlad se donnent la réplique, se transforment en griots pour conter cette Afrique si chère à leur cœur, tendent leur micro à monsieur et madame Tout-le-monde : « Vladimir et moi avons les mêmes envies de radio : nous nous intéressons plus aux sans-voix qu’aux officiels, qui sont tout le temps devant des micros et des caméras », explique-t-il en souriant.

Le succès de « L’Afrique enchantée » est tel que les deux amis décident de partir à la rencontre de leurs auditeurs, et se lancent dans l’organisation des « Bals de l’Afrique enchantée », aux quatre coins de la France. Ces répliques des bals populaires version tropicale proposent un répertoire des années 1960 à aujourd’hui. Entre les morceaux, Solo, de sa voix rocailleuse reconnaissable entre toutes, dreadlocks au vent, balance une anecdote au micro, explique le contexte social ou politique du morceau, et enchante son public. Les organisateurs de festivals de musique africaine se l’arrachent, en France, mais aussi ailleurs dans le monde. Il est également sollicité par la prestigieuse TEDx Paris pour animer une conférence sur la modernité, les traditions et le choc des cultures, qu’on peut toujours écouter sur internet. Son press-book est impressionnant : les plus grands médias lui ont consacré des émissions ou des articles terriblement élogieux.

Mal du pays. Soro Solo ne s’arrête jamais, son énergie et son enthousiasme sont intacts. Son ami journaliste Vladimir Cagnolari ayant décidé de relever d’autres défis, c’est seul aux commandes qu’il anime désormais « L’Afrique en solo», sur le même principe et avec le même succès. Lui qui sillonne pourtant tout le continent africain – et les pays à forte diaspora d’origine africaine, comme Haïti, les Antilles - ne peut pas encore retourner chez lui, ce qui est parfois difficile à supporter. Son pays, sa famille restée au pays, lui manquent cruellement. Mais la roue finit toujours par tourner. Gageons que les retrouvailles seront belles. Et que la Côte d’Ivoire saura honorer son valeureux fils, lequel, en France comme dans le reste du monde, porte très haut les couleurs du pays et du continent.

(article publié dans le quotidien d'Abidjan Fraternité Matin le 6.2.2016)