Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

01/06/2014

Le Prix Kourouma récompense les sorciers du Cameroun

Remis chaque année au mois de mai à Genève dans le cadre du Salon international du livre et de la presse, le prix littéraire Ahmadou Kourouma vient d’être attribué à « Ceux qui sortent la nuit » publié chez Grasset. Ce premier roman du Camerounais Daniel Alain Nsegbe, qui écrit sous le pseudonyme Mutt-Lon, nous ouvre toutes grandes les portes du monde mystérieux de la sorcellerie. Et des sorciers qui le hantent, les « ewusus », des humains d’apparence normale, mais qui, dès la nuit tombée, quittent leur corps et se déplacent sans entraves. Cet ouvrage de science-fiction, ou plutôt de sorcellerie-fiction, nous entraîne dans des aventures rocambolesques, qui ont pour cadre l’Afrique moderne et celle d’avant les Blancs, en 1705 ; deux époques très différentes, certes, mais où les sorciers demeurent omniprésents. Un livre passionnant, qui se lit comme un polar, et dont l’auteur, venu en personne à Genève recevoir le Prix Ahmadou Kourouma, a séduit le public nombreux qui est venu l’écouter.

Daniel Alain Nsegbe reçoit le Prix Kourouma des mains de Jacques Chevrier, président du jury

A l’entendre raconter comment, depuis son Cameroun natal, il a envoyé son manuscrit par la poste à la prestigieuse maison d’édition parisienne Grasset, et comment sa directrice littéraire Martine Boutang l’a appelé en personne un mois plus tard pour lui annoncer qu’il serait publié, on ne peut s’empêcher de penser que les « ewusus » lui ont donné un petit coup de pouce… Car des manuscrits de premiers romans, Martine Boutang en reçoit entre dix et quinze par jour; et seuls cinq paraissent par année. « J’espère que mon histoire va motiver de jeunes auteurs qui connaissent le calvaire de la première édition, et qui abandonnent avant d’avoir vu leur livre publié », souhaite Daniel Alain Nsegbe, alias Mutt-Lon, qui veut dire « l’enfant du terroir » en bassa, une langue parlée au Cameroun. « J’ai choisi ce pseudo car je suis resté très proche du village de mes origines, je m’y rends le plus souvent possible », a raconté à Genève celui qui se retrouvait pour la première fois en Europe. Et visiblement, ce n’est pas du tout incompatible avec son look branché très « urban fashion » : baskets fluo, jeans délavés et démarche sportive.

Son goût de la lecture, il le doit à sa mère, qu’il a surprise un jour, alors qu’il n’était encore qu’un enfant, en train de pleurer en lisant un livre de Guy des Cars. « Je me suis promis de lire ce livre pour comprendre ce qu’il y avait là-dedans qui faisait pleurer ma maman », raconte-il aujourd’hui. Dans la foulée, il a lu les 42 livres de Guy des Cars que sa mère gardait précieusement dans une cantine ; puis il a dévoré tous les Agatha Christie que les « changeurs de romans » donnaient à lire à Yaoundé en échange de 100 francs CFA. Depuis lors, sa passion de la lecture et de l’écriture ne se sont plus démenties, jusqu’à la remise du Prix Kourouma à Genève. Grâce au partenariat qui lie le Prix Ivoire, remis chaque année en Côte d’Ivoire depuis 2008, et le Prix Kourouma, Mutt-Lon sera invité à Abidjan lors de l’édition 2014 du Prix Ivoire le 8 novembre prochain, comme Hemley Boum, lauréate du Prix Ivoire pour son roman « Si d’aimer », l’a été à Genève.

Christiane Kourouma, la veuve de l’immense écrivain ivoirien, était présente à Genève le 2 mai 2014 lors de la remise du Prix littéraire qui porte le nom de son mari ; elle s’est entretenue avec le lauréat, dont elle a beaucoup apprécié la jeunesse et la pertinence avec laquelle il a répondu aux questions du public. Toujours très émue en évoquant la mémoire de son époux, elle a confié que la dépouille de celui-ci rejoindrait prochainement la terre de ses ancêtres. Et que la cérémonie d’inhumation se déroulerait le 14 novembre 2014 au cimetière de Williamsville à Abidjan. C’est précisément ce à quoi s’était engagé le ministre de la culture et de la francophonie Maurice Bandaman en 2012, au Salon du livre international de Genève, dans le discours particulièrement émouvant qu’il avait prononcé lors de la remise du Prix Ahmadou Kourouma.

(Publié dans le quotidien Fraternité Matin)

07/05/2014

Chasseurs de génocidaires

Le génocide rwandais a tout juste 20 ans : c’est le 7 avril 1994 que démarrait le plus hallucinant massacre du 20e siècle, avec l’assassinat planifié, organisé, en l’espace de seulement trois mois, de près d’un million de Tutsis, et de Hutus qui refusaient cette folie. C’est à l’occasion des commémorations qui se multiplient partout dans le monde en ce mois d’avril 2014 que de nombreuses personnes ont découvert pour la première fois, sur les plateaux de télévision, dans les médias, le couple formé par Alain et Dafroza Gauthier, qui luttent sans relâche depuis treize ans pour que les responsables du génocide rwandais soient traduits devant la justice.

C’est ce couple choc, souvent comparé aux célèbres chasseurs de nazis Beate et Serge Klarsfeld, qui empêche de dormir les “génocidaires” hutus, qui ont trouvé refuge sur le sol français, où ils coulent des jours tranquilles, après avoir parfois changé d’identité. C’était le cas de Pascal Simbikangwa, un des acteurs clés du génocide, qui vient d’être condamné, le 14 mars 2014, à 25 ans de prison par la Cour d’assises de Paris - un procès rendu possible par l’inlassable travail d’enquête, de traque, mené par Alain et Dafroza Gauthier.

Il s’agit là du premier génocidaire a être jugé en France, et d’autres devraient suivre, puisqu’une vingtaine de ressortissants rwandais attendent d’être jugés. Paul Simbikangwa vivait à Mayotte sous le nom de David Safari Senyamuhura. Soupçonné de se livrer à un trafic de faux papiers, il est arrêté par la police, qui découvre alors qu’il est recherché pour son implication, au plus haut niveau, dans le génocide rwandais. Peu après son incarcération, il est mis en examen, suite au dépôt d’une plainte par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda, créé par Alain et Dafroza Gauthier.

Rien ne prédisposait pourtant cet enseignant français et son épouse d’origine rwandaise, chimiste de profession, à mener autre chose qu’une vie tranquille, dans la petite ville française de Reims, avec leurs trois enfants. Lorsque les massacres commencent, leur vie va basculer. Et c’est impuissants, emportés par une douleur sans nom, qu’ils vont apprendre jour après jour le massacre des membres de leur famille, de leurs amis, qu’ils retrouvaient chaque année au Rwanda, avec leurs enfants, pendant les vacances. Aujourd’hui, dans ses témoignages, Dafroza Gauthier insiste toujours pour rappeler que c’était des gens “comme vous et moi”, avec leurs joies et leurs peines, qui se levaient le matin pour aller travailler, emmenaient leurs enfants à l’école, et qui tous ont été assassinés de la plus atroce manière.

Pendant les cent jours où le Rwanda plonge dans l’horreur, Alain Gauthier s’engage alors pour la première fois de sa vie. Il écrit à la presse, intervient dans les médias pour dénoncer la passivité de la communauté internationale et dénoncer l’attitude inacceptable de Paris, qui reçoit, au plus fort des massacres, des représentants du nouveau gouvernement extrêmiste. Puis, plus rien. Pendant plusieurs années, le couple n’a plus la force de lutter, et reste comme tétanisé par le chagrin. C’est en 2001, année où quatre Rwandais accusés d’avoir participé au génocide sont jugés devant une Cour d’assise belge, qu’il apparaît comme une évidence au couple Gauthier qu’en France aussi, les responsables des massacres doivent être poursuivis et jugés. En s’appuyant sur la loi dite de compétence universelle, qui permet à un Etat de juger des crimes, quel que soit le lieu où ils ont été commis, pour empêcher l’impunité de crimes de guerre et contre l’humanité.

A ce moment-là, des plaintes ont déjà été déposées devant la justice française, mais aucune n’a encore abouti. Quant au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), installé à Arusha en Tanzanie, il semble être complètement débordé. Le Collectif créé par les Gauthier va alors jouer un rôle décisif en se portant partie civile, en identifiant de nouveaux suspects grâce aux témoignages recueillis au Rwanda où ils se rendent plusieurs fois par année.

Alain et Dafroza Gauthier le répètent, y compris à ceux qui les accusent de “rouler” pour le président Paul Kagamé : ils ne sont mus que par le désir que justice soit rendue, par égard pour la mémoire des victimes. “C’est un crime contre l’humanité. L’humanité tout entière est concernée”, soutiennent-ils. Tout en continuant à se demander comment il est possible que des hommes et des femmes ordinaires, “votre voisin, votre copain d’école peut, du jour au lendemain, venir chez vous vous tuer”.

24/04/2014

Interview à Dakar