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07/05/2014

Chasseurs de génocidaires

Le génocide rwandais a tout juste 20 ans : c’est le 7 avril 1994 que démarrait le plus hallucinant massacre du 20e siècle, avec l’assassinat planifié, organisé, en l’espace de seulement trois mois, de près d’un million de Tutsis, et de Hutus qui refusaient cette folie. C’est à l’occasion des commémorations qui se multiplient partout dans le monde en ce mois d’avril 2014 que de nombreuses personnes ont découvert pour la première fois, sur les plateaux de télévision, dans les médias, le couple formé par Alain et Dafroza Gauthier, qui luttent sans relâche depuis treize ans pour que les responsables du génocide rwandais soient traduits devant la justice.

C’est ce couple choc, souvent comparé aux célèbres chasseurs de nazis Beate et Serge Klarsfeld, qui empêche de dormir les “génocidaires” hutus, qui ont trouvé refuge sur le sol français, où ils coulent des jours tranquilles, après avoir parfois changé d’identité. C’était le cas de Pascal Simbikangwa, un des acteurs clés du génocide, qui vient d’être condamné, le 14 mars 2014, à 25 ans de prison par la Cour d’assises de Paris - un procès rendu possible par l’inlassable travail d’enquête, de traque, mené par Alain et Dafroza Gauthier.

Il s’agit là du premier génocidaire a être jugé en France, et d’autres devraient suivre, puisqu’une vingtaine de ressortissants rwandais attendent d’être jugés. Paul Simbikangwa vivait à Mayotte sous le nom de David Safari Senyamuhura. Soupçonné de se livrer à un trafic de faux papiers, il est arrêté par la police, qui découvre alors qu’il est recherché pour son implication, au plus haut niveau, dans le génocide rwandais. Peu après son incarcération, il est mis en examen, suite au dépôt d’une plainte par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda, créé par Alain et Dafroza Gauthier.

Rien ne prédisposait pourtant cet enseignant français et son épouse d’origine rwandaise, chimiste de profession, à mener autre chose qu’une vie tranquille, dans la petite ville française de Reims, avec leurs trois enfants. Lorsque les massacres commencent, leur vie va basculer. Et c’est impuissants, emportés par une douleur sans nom, qu’ils vont apprendre jour après jour le massacre des membres de leur famille, de leurs amis, qu’ils retrouvaient chaque année au Rwanda, avec leurs enfants, pendant les vacances. Aujourd’hui, dans ses témoignages, Dafroza Gauthier insiste toujours pour rappeler que c’était des gens “comme vous et moi”, avec leurs joies et leurs peines, qui se levaient le matin pour aller travailler, emmenaient leurs enfants à l’école, et qui tous ont été assassinés de la plus atroce manière.

Pendant les cent jours où le Rwanda plonge dans l’horreur, Alain Gauthier s’engage alors pour la première fois de sa vie. Il écrit à la presse, intervient dans les médias pour dénoncer la passivité de la communauté internationale et dénoncer l’attitude inacceptable de Paris, qui reçoit, au plus fort des massacres, des représentants du nouveau gouvernement extrêmiste. Puis, plus rien. Pendant plusieurs années, le couple n’a plus la force de lutter, et reste comme tétanisé par le chagrin. C’est en 2001, année où quatre Rwandais accusés d’avoir participé au génocide sont jugés devant une Cour d’assise belge, qu’il apparaît comme une évidence au couple Gauthier qu’en France aussi, les responsables des massacres doivent être poursuivis et jugés. En s’appuyant sur la loi dite de compétence universelle, qui permet à un Etat de juger des crimes, quel que soit le lieu où ils ont été commis, pour empêcher l’impunité de crimes de guerre et contre l’humanité.

A ce moment-là, des plaintes ont déjà été déposées devant la justice française, mais aucune n’a encore abouti. Quant au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), installé à Arusha en Tanzanie, il semble être complètement débordé. Le Collectif créé par les Gauthier va alors jouer un rôle décisif en se portant partie civile, en identifiant de nouveaux suspects grâce aux témoignages recueillis au Rwanda où ils se rendent plusieurs fois par année.

Alain et Dafroza Gauthier le répètent, y compris à ceux qui les accusent de “rouler” pour le président Paul Kagamé : ils ne sont mus que par le désir que justice soit rendue, par égard pour la mémoire des victimes. “C’est un crime contre l’humanité. L’humanité tout entière est concernée”, soutiennent-ils. Tout en continuant à se demander comment il est possible que des hommes et des femmes ordinaires, “votre voisin, votre copain d’école peut, du jour au lendemain, venir chez vous vous tuer”.