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10/05/2013

"Paris Match", le président du Niger et l'uranium

Par Catherine Morand, journaliste

 

Le poids des mots, le choc des photos. Dans l’édition de Paris Match de la semaine dernière, le président du Niger Mahamadou Issoufou, prend la pose avec deux de ses enfants, juste avant un article très people sur Charlotte de Monaco. « Le président du Niger aide la France dans sa lutte contre Aqmi mais attend qu’on paie son uranium plus cher », résume l’hebdomadaire. « Nous sommes derniers parmi les pays de la planète pour la richesse par habitant et pour l’espérance de vie, alors que nous produisons de l’uranium. C’est un scandale, lit-on dans l’interview accordée à Paris Match par le président du Niger. Donc, il faut rééquilibrer le partenariat que nous avons avec Areva. »

Le président du Niger est un grand communicateur, qui accorde volontiers des interviews à des médias étrangers et internationaux dans lesquels il explique son souhait de tirer un meilleur prix de l’uranium dont son pays est l’un des principaux producteurs. Mais aussi de son engagement aux côtés de la France pour lutter contre le « terrorisme », tout en confirmant la présence de drones américains à Niamey, la capitale, lesquels mènent régulièrement des opérations de renseignements au Mali voisin. Ainsi que celle de commandos de forces spéciales françaises qui sécurisent les mines d’uranium exploitées par la société Areva, dont la production alimente les centrales nucléaires de l’hexagone.

Le Niger se retrouve désormais au cœur de la tourmente, avec, à l’ouest, le Mali en guerre contre les djihadistes, au nord, la Libye en plein chaos, au sud, le Nigeria et sa secte Boko Haram, ses enlèvements et ses attentats meurtriers. C’est dans cet environnement difficile que des organisations de la société civile nigérienne continuent à lutter en faveur d’une gestion transparente des revenus de l’uranium, mais aussi de l’or et désormais du pétrole, que le Niger exploite depuis fin 2011.

Lors d’un récent passage en Suisse pour participer à une conférence sur la transparence dans le secteur des matières premières, Ali Idrissa, le responsable du ROTAB, un réseau d’organisations nigériennes mobilisées sur ces questions, avait plaidé pour que les richesses du sous-sol nigérien servent réellement à améliorer les conditions de vie de la population. Et n’avait pas hésité à établir un lien entre une jeunesse désoeuvrée, sans aucune perspective professionnelle, et son enrôlement au sein de groupes d’extrémistes ou de trafiquants.

Il faut relever le courage de ces réseaux d’organisations de la société civile nigérienne, tels que le ROTAB et le GREN, lesquels, dans un environnement particulièrement difficile, luttent avec courage pour que leurs concitoyens sortent de la pauvreté extrême à laquelle ils semblent condamnés, en dépit de la richesse de leur sous-sol. A l’instar du président Mahamdou Issoufou dans Paris Match, ces réseaux plaident en faveur d’une renégociation des contrats miniers, souvent conclus au total détriment du Niger. Ils dénoncent également  la persistance d’une gestion opaque de ces revenus, même si la nouvelle Constitution du Niger, élaborée en 2010, mentionne désormais expressément en son article 149 la nécessité d’une exploitation et d’une gestion des ressources naturelles et du sous-sol dans la transparence.

Les ressources naturelles du Niger sont en tout cas de plus en plus convoitées. Après  la Chine, omniprésente au Niger dans le secteur du pétrole,  et dans une moindre mesure de l’uranium, l’Iran faisait le mois dernier une entrée fracassante, avec la visite officielle du président iranien Ahmadinejad, qui a fait part  de son intérêt pour le « yellow cake » nigérien. Pris en étau entre sa coopération avec la France et les Etats-Unis dans la lutte contre le djihadisme et sa volonté de tirer un meilleur prix des richesses du sous-sol de son pays, le président Mahamadou Issoufou évolue sur une corde raide. Tout comme les organisations de la société civile, qui continuent à faire entendre courageusement leur voix, pour faire avancer la cause de la démocratie et de la transparence dans leur pays. (Publié dans le quotidien Le Courrier, Genève, 10.5.2013)

 

03/05/2013

Le Prix littéraire Ahmadou Kourouma fête ses dix ans

Par Catherine Morand, journaliste

Il y a tout juste dix ans, le 11 décembre 2003, l’auteur de « Les soleils des indépendances » Ahmadou Kourouma décédait en France. C’est cette même année que l’éditeur suisse Pierre-Marcel Favre, fondateur du Salon international du livre et de la presse de Genève, ainsi que le professeur émérite de la Sorbonne Jacques Chevrier, décidaient de créer le Prix littéraire Ahmadou Kourouma, pour rendre hommage à l’immense écrivain.

C’est aujourd’hui même à Genève, dans le cadre du Salon africain du livre, que le Prix Ahmadou Kourouma est remis pour la dixième fois. L’année dernière, le ministre de la culture et de la francophonie Maurice Bandaman avait fait le déplacement en Suisse à cette occasion. Aux côtés du professeur Jacques Chevrier, il avait personnellement remis ce prix prestigieux à sa lauréate l’écrivaine rwandaise Scholastique Mukasonga, pour son ouvrage « Notre-Dame du Nil ». Lequel raconte de manière saisissante le prélude du génocide des Tutsi, dans le huis-clos d’un lycée de Kigali.

Le discours du ministre Maurice Bandaman avait été empreint d’une grande émotion lorsqu’il avait rendu hommage à Ahmadou Kourouma, en présence de la veuve de l’écrivain, Christiane Kourouma, assise au premier rang d’une assemblée composée de nombreux représentants des missions diplomatiques en poste à Genève. Le ministre avait également exprimé, au nom de la Côte d’Ivoire, le souhait de voir la dépouille de l’auteur de « Allah n’est pas obligé » retrouver la terre de ses ancêtres. L’écrivain est en effet enterré à Lyon, où, en guise d’hommage, une maison qui abrite des associations artistiques et culturelles porte son nom dans le Jardin des Chartreux. Le souhait exprimé par la voix du ministre Bandaman fait depuis lors son chemin...

L’année dernière déjà, et à nouveau pour cette édition 2013, Isabelle Kassi Fofana, directrice de Frat Mat Editions et responsable de l’association Akwaba Culture à l’origine de la création du Prix Ivoire pour la littérature africaine d’expression francophone, est l’invitée du Salon africain du livre de Genève. Elle prend aujourd’hui la parole lors de la remise du Prix Ahmadou Kourouma pour rappeler les liens entre ces deux prix littéraires, désormais jumelés. L’écrivaine sénégalaise Mariama N’Doye, qui avait reçu le Prix Ivoire en 2012 pour son œuvre « L’arbre s’est penché », est également présente à Genève, où elle participe à plusieurs tables-rondes, aux côtés d’Isabelle Kassi Fofana.

La grande dame de la littérature ivoirienne Tanella Boni avait reçu le Prix Ahmadou Kourouma en 2004 pour ses « Matins de couvre-feu », tout comme son compatriote Koffi Kwahulé pour son « Babyface » publié en 2006. Mais aujourd’hui, après la Rwandaise Scholastique Mukasonga, le Congolais Emmanuel Dongala, le Béninois Florent Couao-Zotti, c’est au tour de l’immense écrivain guinéen Tierno Monénembo de recevoir le Prix Ahmadou Kourouma 2013, pour son ouvrage « Le Terroriste noir » publié aux Editions du Seuil. Un roman qui raconte l’incroyable histoire d’Addi Bâ, un jeune Guinéen adopté en France à l’âge de 13 ans, incorporé dans le 12e régiment des tirailleurs sénégalais durant la Seconde Guerre mondiale, avant de rejoindre la résistance. Les Allemands le surnommeront alors « le terroriste noir ».

A relever que « Le rebelle et le camarade Président » de Venance Konan, DG du groupe Fraternité Matin, figurait parmi les ouvrages qui concouraient pour l’édition 2013 du Prix Kourouma, aux côtés, entre autres, de « Fleur de Béton » du franco-congolais Wilfried N’Soundé, et de « Si d’aimer », de la camerounaise Hemley Boum. Les délibérations du jury – dont j’ai l’honneur de faire partie – furent vives. Mais le président du jury Jacques Chevrier laissa entendre qu’il est rare que le même auteur remporte plusieurs prix la même année. Or, Venance Konan vient de remporter le Grand Prix Littéraire d’Afrique noire pour son livre « Edem Kodjo, un homme, un destin », qui lui a été remis lors d’une cérémonie prestigieuse durant le dernier Salon du livre de Paris. (Publié dans le quotidien Fraternité Matin, Abidjan, le 3 mai 2013)

 

12/04/2013

"Si tu finis tes études, tu as trois débouchés : par terre, mer ou air"

par Catherine Morand, journaliste

Ce slogan - qu’on peut lire sur la plateforme des indignés espagnols Juventud sin futuro  (« Jeunes sans futur » ) – a le goût amer de la réalité vécue par ces jeunes gens bien formés qui, dans le Sud de l’Europe, n’ont d’autre choix que d’aller chercher un job sous d’autre cieux, en Europe du Nord, mais aussi sur le continent africain ou en Amérique latine.

Ainsi, devant les bureaux des ambassades ou des consulats de l’Angola, du Mozambique ou du Brésil à Lisbonne, se forment des files toujours plus longues de Portugais cherchant  à émigrer dans ces pays, qu’ils apprécient autant pour leur proximité linguistique que pour leur vitalité économique, afin d’échapper au chômage et à la misère. C’est le même scénario en Espagne, qui n’a plus aujourd’hui de problème d’immigration, mais bien plutôt d’émigration, avec également de longues files d’attente devant les consulats de l’Equateur, de l’Argentine, du Chili.  Tandis que de nombreux  jeunes cadres français cherchent à trouver du travail au Sénégal, en Côte d’Ivoire ou au Ghana.

Mais tout n’est pas simple pour autant. Ainsi, le quotidien algérien Liberté a-t-il relaté le renvoi dans leur pays, par les garde-côtes, de plusieurs immigrés clandestins originaires d’Espagne, qui voulaient se faire embaucher par des sociétés espagnoles en Algérie. La presse angolaise se fait par ailleurs régulièrement l’écho de ces Portugais en situation irrégulière interpellés par le service des migrations, travaillant au noir, expulsés manu militari. Ou encore de ces immigrés clandestins d’origine européenne, sans moyens de subsistance, qui dorment dans les rues de Maputo ou de Luanda.

Un scénario qui rappelle à s’y méprendre celui du film « Africa Paradis » du réalisateur béninois Sylvestre Amoussou, qui met en scène un couple de jeunes Français, prêts à tout pour immigrer, même clandestinement, sur un continent africain désormais prospère, tandis que l’Europe sombre dans la misère. Le jeune homme, sans papiers, est arrêté par la police des frontières et incarcéré dans un centre de transit avant d’être renvoyé. Tandis que sa compagne est tout heureuse de trouver un travail comme bonne à tout faire dans une famille aisée… Lors de sa sortie en 2007, ce film avait un petit goût de science-fiction qui s’est passablement estompé aujourd’hui  : la réalité a rattrapé la fiction.

Car l’immigration d’Européens vers le continent africain, en Amérique latine ou encore en Inde et en Chine est une tendance lourde. Pour certains pays, on parle même de colonisation à l’envers, puisqu’au cours de ces trois dernières années, plus de 100'000 Portugais se sont installés en Angola. Si un tel flux migratoire devait persister, la communauté portugaise pourrait retrouver en Angola le niveau d’un demi million de ressortissants qu’elle connaissait avant son indépendance en 1975. Du jamais vu dans l’histoire post-coloniale.

Et c’est bien d’une véritable fuite des cerveaux qu’il s’agit, qui prive des pays tels que l’Espagne, le Portugal ou encore la Grèce et l’Irlande, déjà dans une situation économique catastrophique. Autant de jeunes cadres dont ces pays auront cruellement besoin, mais auxquels ils ne sont pas en mesure, aujourd’hui et peut-être pour longtemps encore, de proposer des postes de travail dignes de ce nom.

Rien à voir en tout cas avec l’immigration des années 60, où Portugais et Espagnols, peu formés, quittaient leur pays pour aller travailler sur des chantiers en Suisse, en France ou en Allemagne. Lorsqu’ils débarquent aujourd’hui en Algérie, au Maroc, au Mozambique ou au Brésil, ces jeunes cadres investissent des centres de recherche scientifiques, des cabinets d’avocats ou d’ingénieurs, trouvent facilement un travail bien payé auprès de sociétés qui privilégient souvent leur embauche à celle de cadres nationaux. Ces derniers se retrouvent une fois de plus les grands perdants de l’histoire : ils doivent affronter la concurrence d’une main d’œuvre européenne qualifiée, qui débarque massivement, faisant ainsi flamber les prix des biens de consommation et des loyers. (Publié dans le quotidien Le Courrier (Genève), le 12 avril 2013)