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18/04/2010

Le français, notre maison

Par Catherine Morand, journaliste - Le Matin Dimanche - le 18 avril 2010

 

« Le français, notre maison » est un petit bijou de livre qui vient de paraître aux Editions Zoé, et qui exprime à plusieurs voix le bonheur et le privilège d’appartenir à la francophonie, en cette année où la Suisse en accueille le Sommet, et que s’ouvre, dans quelques jours, le Salon du livre de Genève.

 

Un vrai plaisir, donc, que de zigzaguer entre les petits textes des quatorze auteurs réunis par Jean-Marie Vodoz, président de la Fondation Défense du français et ancien rédacteur en chef de 24 Heures. Un voyage jubilatoire au pays du français, qui n’empêche pas quelques coups de griffes. Ainsi Jean-Marie Vodoz n’hésite-t-il pas à traiter de « pignouf » ce patron de grand magasin qui affirme vouloir continuer à pratiquer son sabir commercial anglo-saxon parce que c’est, dit-il, « la langue de l’avenir ».

 

Vraiment ? Les Anglo-Saxons eux-mêmes comprennent mal notre application à vouloir singer leur langue et à faire fi de la nôtre. A l’arrivée, notre « pidgin English », décliné en slogans à deux balles par des publicitaires zurichois, ne ressemble d’ailleurs plus à rien. Dans « Le français, notre maison », Etienne Barilier estime que notre langue est avant tout attaquée « de l’intérieur ». Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir avec quelle rapidité nous dégainons notre anglais de cuisine pour briller en société, même en présence d’une majorité de francophones.

 

Dès lors, comment imaginer que les anglophones puissent respecter une communauté linguistique si prompte à se renier ? Serions-nous favorables à une « novlangue » universelle ? Alors nous ferions bien d’aller plus souvent du côté de Québec, Marseille, Casablanca, Charleroi ou Dakar, pour ressentir la nécessité et la pertinence de maîtriser et pratiquer notre langue commune, en explorer toutes les richesses, la malaxer pour en faire surgir de nouveaux mots, qui collent à notre époque.

 

Paris a récemment adoubé «bolidage» au lieu de «tuning», «ramdam» au lieu de «buzz»,  «infolettre» au lieu de «newsletter». Pour découvrir les perles les plus récentes produites par la francophonie, nous avons la chance de pouvoir nous rendre au Salon du livre de Genève qui ouvre ses portes dans dix jours, avec son Salon africain qui fait la part belle au français tel qu’il est parlé sur ce continent. C’est toute cette richesse, relayée dans le monde entier par la chaîne francophone TV5, que nous devons absolument parvenir à partager avec nos compatriotes alémaniques, pour éviter qu’ils ne voient dans le Sommet de la francophonie de Montreux qu’un coûteux « machin ».

 

 

04/04/2010

Dieu et les OGM

Par Catherine Morand, journaliste - Le Matin Dimanche - le 4 avril 2010

Il faut être devenu « Dieu Omniscient Soi-même » pour savoir à quoi ressemblera un monde truffé d’OGM concluait il y a 15 jours mon voisin de chronique Claude Monnier. Je me permets de le rassurer : il n’y a rien de théologique dans cette affaire. Juste un formidable business qui fait main basse sur les semences du monde, en s’arrogeant le droit de breveter et de privatiser le patrimoine de l’humanité.

 

Pour avoir un avant-goût du monde que nous préparent Monsanto, Syngenta, DuPont/Pioneer ou BASF, on peut déjà aller faire un petit tour en Argentine, où le soja transgénique et les tonnes d’herbicide qu’il exige virent au cauchemar national. Et en Inde où quelques années après l’introduction du coton Bt transgénique, les paysans, pris à la gorge par un endettement sans issue, se suicident par dizaines de milliers. Et en Afrique où Monsanto se sert du Burkina Faso comme tête de pont pour pénétrer le marché du coton, malgré les résistances.

 

Une offensive planétaire donc, assortie de pressions insensées. En voyant comment l’Union européenne peine à résister aux assauts des multinationales agrochimiques qui fabriquent des OGM, on comprend à quel point des pays économiquement sinistrés et politiquement fragiles se retrouvent sans défense face à une force de frappe qui utilise tous les moyens pour imposer ses produits ; avec l’appui de l’administration américaine, la fondation Bill Gates, la Banque mondiale, l’USAID, et beaucoup d’autres.

 

Pourtant, depuis des temps immémoriaux, les paysans produisent leurs propres semences, les échangent, les améliorent. Mais cela ne sera bientôt plus possible : il s’agira de racheter chaque année les semences brevetées, estampillées Monsanto ou Syngenta, beaucoup plus chères. Et problématiques : le 6 mars dernier, le newsmagazine India Today annonçait que Monsanto reconnaissait la faillite de son coton Bt et les ravages qu’il engendre en Inde.

 

Pas besoin d’être « Dieu omniscient », donc, pour prédire que des catastrophes génétiques se profilent à l’horizon. Il est d’ailleurs piquant de constater que les mêmes firmes qui imposent partout leurs semences clonées fabriquées à l’identique, financent à coups de milliards de dollars une chambre forte souterraine en béton sur l’archipel norvégien du Spitzberg, près du Pôle Nord, où sont stockées toute la variété des graines du monde. Le 15 mars dernier, on apprenait que cette « Arche de Noé verte » avait déjà recueilli les semences de 500'000 espèces végétales, après seulement deux ans d’existence. C’est dire si on peut attendre le déluge en paix.

  

21/03/2010

"Logorama"

Par Catherine Morand, journaliste - Le Matin Dimanche - le 21 mars 2010

 

Dans la ville de Los Angeles, où tout n’est plus que branding, logo et publicité, deux flics Bibendum Michelin se lancent à la poursuite du clown psychopathe Ronald McDonald qui a pris un enfant Haribo en otage. Au cours des échanges de tirs, les deux messieurs moustachus de Pringles sauvent leur chips de justesse, tout comme la pin-up à tête de goutte d’huile d’Esso, qui, du coup, croque une pomme forcément Apple. Le bain de sang est interrompu par un séisme qui détruit la ville, y compris le zoo, d’où s’échappent les crocodiles Lacoste, le lion de la Métro-Goldwyn-Meyer et les chameaux Camel suivis par les pingouins Miko.

 

Dans « Logorama », petit bijou de film d’animation qui vient de recevoir un Oscar à Hollywood, les immeubles, le paysage, les voitures, les personnages ne font plus qu’un avec les grandes marques. Le court métrage démarre d’ailleurs par une image de palmiers sur fond de coucher de soleil qui a un air de déjà vu, et pour cause : c’est le visuel du rhum Malibu. En voyant défiler les quelque 3000 logos de ce court-métrage, on ne peut qu’être bluffé : on les reconnaît tous, ou presque, jingle compris. Le grand-père Kentucky Fried Chicken, la montagne Evian, le viril M. Propre, les petits bonshommes Bic, le Géant Vert, ils sont tous là, comme autant de vieux potes qu’on côtoie tous les jours depuis toujours.

 

Du coup, le livre culte de la Canadienne Naomi Klein « No Logo » dans lequel elle dénonçait la tyrannie des marques, le branding comme paysage urbain et recensait les actes de résistance, prend un petit coup de vieux. Et on comprend pourquoi le jury des Oscars, réuni au Kodak Theater de Los Angeles, a primé le film « Logorama » dont les images relèvent davantage de l’hyper-réalisme que de la science-fiction. N’avons-nous pas, nous aussi désormais, notre Rolex Learning Center ? Et en France, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ne vient-il pas d’autoriser à la télévision le « placement de produits » dans des films, des séries ou des clips ? C’est dire si entre les marques et nous, l’histoire d’amour n’est pas près de finir.

 

« Logorama », clap de fin : le clown Ronald McDonald tente d’échapper aux flics Bibendum qui le poursuivent, en zigzaguant sur sa moto entre les logos qui se crashent sur le bitume lézardé. Un tremblement de terre apocalyptique qui engloutit ce monde en toc. Mais dans l’univers, des planètes rouges et oranges se rapprochent jusqu’à ressembler furieusement au logo de MasterCard. Et la voie lactée porte le sigle de Milky Way. Les marques ne meurent jamais.