Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/08/2012

Les terres agricoles, nouvel Eldorado des investisseurs

Par Catherine Morand, journaliste

Dans les salons feutrés du luxueux hôtel Victoria Park Plaza au cœur de Londres s’est tenu, du 26 au 28 juin 2012, le Sommet de l’investissement agricole (The Agriculture Investment Summit) qui a drainé le gratin des financiers chargés de la gestion de grands fonds d’investissements et de fonds de pension.

C’est que ces fonds cherchent de plus en plus à « investir» dans les terres et les matières premières agricoles, ou encore les agrocarburants, afin de diversifier leur portefeuille de placements, dans un contexte de marchés à risques. A Londres, comme l’année dernière à l’hôtel Kempinski à Genève, mais aussi à New York, Singapour ou encore à Addis-Abeba en octobre prochain, des séminaires pour la promotion des investissements agricoles et l’achat de terres se multiplient, avec succès.

Ainsi, l’ingéniérie financière, toujours à l’affût de nouvelles opportunités qui rapportent vite et gros, a-t-elle trouvé de nouvelles pistes aux rendements prometteurs du côté des matières premières agricoles et l’acquisition de terres cultivables aux quatre coins de la planète.

Les fonds de pension – c'est-à-dire notre AVS, nos plans d’épargne retraite -  sont même devenus les plus grands « investisseurs » institutionnels dans les terres agricoles de par le monde. Nous pourrions donc nous réjouir que nos retraites soient entre de si bonnes mains et nos vieux jours assurés.

Seul petit problème : ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’ « accaparement des terres » prend des allures d’ Apocalypse now en Afrique et ailleurs. L’année dernière, à Dakar, j’avais eu l’occasion de rencontrer des dizaines de ces hommes et de ces femmes chassés de leurs terres, qu’ils cultivent depuis des générations, dévastées par des machines agricoles qui profanent leurs cimetières et arrachent tout sur leur passage pour préparer le sol pour l’agrobusiness.

« Nous avons été chassé comme des moins que rien, avait témoigné un vieillard filiforme à l’allure biblique. Nous n’avons plus de champs, nulle part d’autre où aller. Qu’on nous les redonne, sinon, de quoi allons-nous vivre ? »

A leurs yeux, ce qui est en train de se passer signifie la mise à mort des exploitations agricoles familiales sur le continent, qui occupent pourtant entre 70 et 80% de la population. Avec comme seule alternative de devenir des ouvriers agricoles miséreux ou d’aller grossir les rangs des nécessiteux s’entassant aux abords de villes qui ne procurent aucun emploi.

Du coup, les placements de nos fonds de pension ont un petit goût amer. Cela explique pourquoi la semaine dernière également plusieurs dizaines d’ONG ont demandé aux Etats de prendre leurs responsabilités pour que « l’accaparement des terres par les fonds de pension et les institutions financières cessent » ; et aux citoyens d’exercer leur droit de regard sur le type d’investissements consentis en leur nom (publié dans le quotidien 24 Heures, Lausanne)

24/08/2012

TINA est de retour en Grèce

Par Catherine Morand, journaliste

«On essaye de survivre, mais c’est dur.» Cette phrase, je l’ai entendue plusieurs fois sur l’île de Santorin, en Grèce, d’où j’écrivais il y a exactement une année ces quelques lignes qui demeurent d’actualité. Les Grecs que j’y ai croisés travaillent une douzaine d’heures par jour pour des salaires de misère, ou alors cumulent plusieurs jobs pour tenter de garder la tête hors de l’eau. Dans les boutiques, les restaurants, la télévision est allumée, les gens suivent avec anxiété les débats au parlement, les images d’émeutes dans la capitale Athènes. «On va tout nous arracher, nous sommes finis», commente un vieil homme.

Ce qui est en train de se passer en Grèce ressemble comme deux gouttes d’eau à ce qu’avaient vécu de nombreux pays africains dans les années 80-90. Surendettés par l’irresponsabilité aussi bien de leurs dirigeants que de sociétés privées et d’institutions financières, le réveil fut rude. Les délégations du FMI débarquèrent dans les capitales, prirent leurs quartiers dans les hôtels de luxe et les bureaux du Ministère des finances, et imposèrent leur modèle économique unique ultralibéral. Depuis lors, ces pays n’ont plus jamais regagné le contrôle de leurs propres économies, pilotées depuis Washington par les petits génies de la finance mondialisée.

Aujourd’hui, nous assistons bel et bien au retour de TINA en Grèce. TINA ? C’est l’acronyme de «There Is No Alternative» (il n’y a pas d’alternative), slogan désormais célèbre, régulièrement asséné pour faire croire qu’il n’existe pas d’alternatives à une économie ultralibérale. A «TINA», certains répliquent pourtant par «TATA», soit : «There Are Thousands of Alternatives» (il y a des milliers d’alternatives).

Mais visiblement, en Grèce, l’heure n’est pas à la recherche d’options différentes: vente à la découpe de biens publics, baisse des salaires des fonctionnaires, coupe dans les dépenses sociales et la santé, vente d’îles, privatisation des ports, des aéroports, des chemins de fer, de l’électricité, des plages touristiques... tout y est.

Ce qui est totalement fascinant, c’est que, malgré la déglingue durable dans laquelle de nombreux pays sont plongés depuis des décennies, après avoir appliqué à la lettre les mesures imposées par le FMI, ce sont exactement les mêmes recettes qui sont exigées aujourd’hui de la Grèce, du Portugal, et bientôt d’autres pays européens. Avec toutefois une nouveauté: le pouvoir faramineux qui réside désormais entre les mains des agences de notation financières et les grandes banques, qui dictent leurs lois face à des institutions politiques tétanisées, qui n’osent contester les critères édictés par des organismes privés.

Pourtant, la dette privée de la Grèce, boostée par des prêts bancaires irresponsables, tout comme sa dette publique, mériteraient d’être auscultées de plus près. On se rendrait compte qu’entre les dettes héritées de la dictature des colonels, le scandale des Jeux olympiques de 2004 ou encore les pots-de-vin gigantesques versés par des entreprises européennes aux autorités grecques pour obtenir des contrats, on pourrait, pour une bonne part d’entre elles, parler de dettes illégitimes, qui devraient être annulées. Mais en aucun cas supportées par la population qui crie aujourd’hui son indignation et sa révolte, face à l’incurie de sa propre classe dirigeante, et à un système financier qui ne lui laisse aucune chance.

Depuis plusieurs mois, des voix s’étaient pourtant fait entendre pour demander que soit réalisé un audit de la dette grecque, comme cela s’était fait en Equateur en 2007-2008, et qui avait abouti à une importante réduction de la dette de ce pays. La députée grecque Sophia Sakorafa a même proposé que la Grèce suive l’exemple équatorien, affirmant ainsi qu’il y existait bel et bien une alternative à la soumission aux créanciers, qu’il s’agisse des banques ou du FMI. Visiblement, elle n’a pas été entendue. Et TINA, une fois de plus, a triomphé. (chronique publiée dans le quotidien Le Courrier, Genève)

 

 

 

 

 

 

 

23/08/2012

Des visas et des hommes

Par Catherine Morand, journaliste

Obtenir un visa pour aller en Europe ou aux Etats-Unis est devenu une véritable galère, qui décourage les plus motivés et les plus endurcis. A Abidjan, comme à Quito, Peshawar ou ailleurs dans ce qu’il est convenu d’appeler l’hémisphère Sud, dès l’aube, et souvent même pendant la nuit, de longues files se forment devant les ambassades et les consulats de France, des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, de Suisse, transformés en autant de bunkers inaccessibles. Avec à la clé, parfois, des journées entières à attendre sous un soleil de plomb ou des pluies diluviennes, et, en prime, les remarques désagréables, voire les brutalités, des vigiles et autres forces de l’ordre chargés d’encadrer la foule des demandeurs de visas. Lesquels ne se privent d’ailleurs pas, parfois, de racketter celles et ceux qui cherchent à écourter leur attente et accéder plus rapidement au guichet. C’est donc tout un petit trafic qui tend à se développer dans le périmètre des ambassades, qui débouche parfois sur des scandales retentissants.

Lorsqu’on parvient enfin à pénétrer dans les bureaux du consulat ou de l’ambassade, c’est souvent pour y subir les humiliations de la part d’un personnel méprisant et suspicieux, qui exige des recommandations à l’infini, vous faisant revenir à de multiples reprises jusqu’à ce que vous ayez fourni les pièces les plus invraisemblables. On voudrait décourager les gens d’aller en Europe qu’on ne s’y prendrait pas autrement. A tel point que les consulats et les ambassades des pays occidentaux dans de nombreux pays du monde sont devenus de facto des zones de non droits, mettant en oeuvre une politique d’octroi des visas qui ressemble de plus en plus à une politique de non entrée en matière, quel que soit le cas de figure.

Certes, chaque pays a le droit de décider qui peut pénétrer ou non sur son territoire. Mais faut-il pour autant infliger des humiliations en cascade à toutes celles et ceux qui souhaitent aller faire un séjour en Europe, à tel point qu’une simple demande de visa devienne un véritable calvaire ?Lassés par de tels comportements, certains pays ont d’ailleurs opté pour le principe de réciprocité. C’est notamment le cas du Brésil, qui a décidé d’exiger un visa aux citoyens européens désireux de passer une partie de l’hiver sur les plages de Rio, ainsi que l’obligation humiliante des empreintes digitales aux Américains, comme ceux-ci l’exigent des citoyens brésiliens. Le Sénégal fait désormais de même, et exige une demande de visa à tous les ressortissants dont le pays exige des Sénégalais un visa avant d’y accéder, chaque pays se voyant ainsi rendre la monnaie de sa pièce.

Y aurait-il deux poids deux mesures ? Car durant les périodes qui précèdent leurs vacances, les Européens se précipitent eux aussi sur les ambassades et les consulats de pays lointains, pour solliciter un visa, avant de se rendre aux quatre coins de la planète, histoire de décompresser un peu, de se prélasser sur des plages de rêve ou de découvrir d’autres cultures. Une demande de visa n’est qu’une simple formalité, accomplie sans problèmes et très rapidement. De nombreux pays touristiques n’exigent d’ailleurs même plus de visa de la part des Européens, pour faciliter leur venue. Tandis que dans le sens inverse, c’est galère, humiliations et compagnie.

Mais est-ce bien raisonnable que la mobilité au niveau international soit devenue l’apanage des citoyens des seuls pays européens et nord-américains, ainsi que d’une petite élite de pays perçus comme présentant un « risque migratoire » ? L’écrasante majorité des habitants de régions entières sont désormais assignés à résidence à vie. Ou alors condamnés à recourir à des moyens illégaux pour voyager dans ces pays occidentaux qu’ils ont pourtant appris à aimer de toutes sortes de manières, mais qu’ils n’auront jamais la chance de voir en vrai, ni pour changer d’air, ni pour découvrir d’autres cultures, et pas plus pour rendre visite à des amis ou de la famille. (publié dans le quotidien Fraternité Matin (Abidjan, Côte d’Ivoire)