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24/08/2012

TINA est de retour en Grèce

Par Catherine Morand, journaliste

«On essaye de survivre, mais c’est dur.» Cette phrase, je l’ai entendue plusieurs fois sur l’île de Santorin, en Grèce, d’où j’écrivais il y a exactement une année ces quelques lignes qui demeurent d’actualité. Les Grecs que j’y ai croisés travaillent une douzaine d’heures par jour pour des salaires de misère, ou alors cumulent plusieurs jobs pour tenter de garder la tête hors de l’eau. Dans les boutiques, les restaurants, la télévision est allumée, les gens suivent avec anxiété les débats au parlement, les images d’émeutes dans la capitale Athènes. «On va tout nous arracher, nous sommes finis», commente un vieil homme.

Ce qui est en train de se passer en Grèce ressemble comme deux gouttes d’eau à ce qu’avaient vécu de nombreux pays africains dans les années 80-90. Surendettés par l’irresponsabilité aussi bien de leurs dirigeants que de sociétés privées et d’institutions financières, le réveil fut rude. Les délégations du FMI débarquèrent dans les capitales, prirent leurs quartiers dans les hôtels de luxe et les bureaux du Ministère des finances, et imposèrent leur modèle économique unique ultralibéral. Depuis lors, ces pays n’ont plus jamais regagné le contrôle de leurs propres économies, pilotées depuis Washington par les petits génies de la finance mondialisée.

Aujourd’hui, nous assistons bel et bien au retour de TINA en Grèce. TINA ? C’est l’acronyme de «There Is No Alternative» (il n’y a pas d’alternative), slogan désormais célèbre, régulièrement asséné pour faire croire qu’il n’existe pas d’alternatives à une économie ultralibérale. A «TINA», certains répliquent pourtant par «TATA», soit : «There Are Thousands of Alternatives» (il y a des milliers d’alternatives).

Mais visiblement, en Grèce, l’heure n’est pas à la recherche d’options différentes: vente à la découpe de biens publics, baisse des salaires des fonctionnaires, coupe dans les dépenses sociales et la santé, vente d’îles, privatisation des ports, des aéroports, des chemins de fer, de l’électricité, des plages touristiques... tout y est.

Ce qui est totalement fascinant, c’est que, malgré la déglingue durable dans laquelle de nombreux pays sont plongés depuis des décennies, après avoir appliqué à la lettre les mesures imposées par le FMI, ce sont exactement les mêmes recettes qui sont exigées aujourd’hui de la Grèce, du Portugal, et bientôt d’autres pays européens. Avec toutefois une nouveauté: le pouvoir faramineux qui réside désormais entre les mains des agences de notation financières et les grandes banques, qui dictent leurs lois face à des institutions politiques tétanisées, qui n’osent contester les critères édictés par des organismes privés.

Pourtant, la dette privée de la Grèce, boostée par des prêts bancaires irresponsables, tout comme sa dette publique, mériteraient d’être auscultées de plus près. On se rendrait compte qu’entre les dettes héritées de la dictature des colonels, le scandale des Jeux olympiques de 2004 ou encore les pots-de-vin gigantesques versés par des entreprises européennes aux autorités grecques pour obtenir des contrats, on pourrait, pour une bonne part d’entre elles, parler de dettes illégitimes, qui devraient être annulées. Mais en aucun cas supportées par la population qui crie aujourd’hui son indignation et sa révolte, face à l’incurie de sa propre classe dirigeante, et à un système financier qui ne lui laisse aucune chance.

Depuis plusieurs mois, des voix s’étaient pourtant fait entendre pour demander que soit réalisé un audit de la dette grecque, comme cela s’était fait en Equateur en 2007-2008, et qui avait abouti à une importante réduction de la dette de ce pays. La députée grecque Sophia Sakorafa a même proposé que la Grèce suive l’exemple équatorien, affirmant ainsi qu’il y existait bel et bien une alternative à la soumission aux créanciers, qu’il s’agisse des banques ou du FMI. Visiblement, elle n’a pas été entendue. Et TINA, une fois de plus, a triomphé. (chronique publiée dans le quotidien Le Courrier, Genève)