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29/09/2012

La malédiction des matières premières, ça suffit !

Par Catherine Morand, journaliste

Plus le sous-sol d’un pays est riche en minerais, en pétrole, en métaux précieux, plus sa population croupit dans une déglingue sans issue. Dans tous les pays ? Non. Si un fermier américain trouve du pétrole dans son champ, il saute en l’air de joie : sa fortune est faite. Si un paysan congolais ou péruvien voit des représentants de sociétés minières ou pétrolières débarquer dans sa région, il sait que les ennuis commencent ; et il se tourne vers le ciel pour demander ce qu’il a fait pour mériter une telle malédiction.

Le terme n’est pas trop fort. Car sinon, comment expliquer, par exemple, que la population du Niger, pays qui figure parmi les premiers producteurs d’uranium – qui alimente les centrales nucléaires françaises -  qui regorge d’or et aussi de pétrole, soit jusqu’à aujourd’hui identifiée comme l’une des plus misérables au monde ?

Cette réalité, hé bien des dizaines d’organisations non gouvernementales, des ONG du monde entier, ont estimé, il y a tout juste dix ans, que ce n’était pas une fatalité. Elles ont lancé une campagne mondiale, intitulée « Publiez ce que vous payez », en anglais « Publish What You Pay », qui exige des sociétés minières et pétrolières de rendre publics les montants qu’elles versent aux autorités des pays producteurs, en échange de milliers de barils, de tonnes d’or, d’uranium ou de coltan.

Pourquoi ? Pour mettre un terme à la signature de contrats conclus en toute opacité entre des gouvernements corrompus et des compagnies qui se comportent souvent comme des gangsters, tirant profit de toutes les failles d’Etats fragiles et de non droits. De telles informations permettent par ailleurs aux citoyens de ces pays de demander des comptes à leurs dirigeants quant à l’utilisation de ces fonds, et de faire pression pour qu’ils servent réellement à améliorer les conditions de vie de la population.

Du 17 au 19 septembre 2012 à Amsterdam, des représentants d’une soixantaine de pays ont fait le bilan de cette décennie, qui a permis des avancées spectaculaires, aussi bien dans les pays producteurs que dans ceux qui abritent les sièges de sociétés actives dans le négoce et l’extraction de matières premières. Le coup de tonnerre est parti des Etats-Unis où dès l’année prochaine, après des années d’intense lobbying, ces sociétés devront rendre publics les montants versés aux gouvernements. Une véritable révolution ! Et l’Union européenne est en train de plancher sur des règles similaires, qui devraient être promulguées cet automne.

Du coup, léger malaise. Que va faire la Suisse, qui est devenue un véritable plaque tournante du commerce de pétrole brut et autres matières premières extractives ? Pourra-t-elle encore longtemps, seule contre tous, renoncer à exiger davantage de transparence dans les flux financiers de ces sociétés à la réputation sulfureuse, ayant leur siège en Suisse, telles que Glencore, Xstrata, ou encore Trafigura ? Et courir le risque de voir sa réputation régulièrement entachée par des scandales retentissants. (Publié dans le quotidien 24 Heures, Lausanne (27.9.2012) et la Tribune de Genève (28.9.2012)

 

21/09/2012

Comment devenir blanche en 15 jours ?

Par Catherine Morand, journaliste

Si vous vous rendez à Dakar ces prochains jours, vous serez accueillis à l’aéroport par un panneau publicitaire de 12 mètres carrés vantant les mérites d’un nouveau produit choc pour dépigmenter la peau, le Khess Petch, qui vous permet, assure la pub, de troquer votre teint noir contre une peau blanche en l’espace de 15 jours. On retrouve d’ailleurs la même photo d’une femme « avant et après » blanchiment placardée le long de toutes les grandes artères de la capitale sénégalaise, sur plus d’une centaine de panneaux géants, qui font la promotion de cette crème éclaircissante.

On n’avait jamais vu à Dakar une campagne d’une telle envergure, qui ose présenter un médicament violent, utilisé pour soigner des dermatoses aigües, des eczéma ou des psoriasis, comme s’il s’agissait d’un simple produit cosmétique, destiné à procurer le teint clair « dont vous avez toujours rêvé ».

Les médias sénégalais et les réseaux sociaux se sont aussitôt emparés de l’affaire et le débat fait rage depuis plusieurs jours à propos de ce qu’on appelle le khessal au Sénégal, le tcha en nouchi d’Abidjan, le tcha-tcho au Mali ou encore le dorot au Niger. «Mais comment, au Sénégal, la patrie du chantre de la négritude Léopold Sédar Senghor qui chantait « femme nue, femme noire », de Cheikh Anta Diop, peut-on accepter, dans notre capitale, cette humiliante publicité qui dévalorise tant la couleur de notre peau noire », écrit ainsi Amadou Bakhaw Diaw sur le site d’info sénégalais seral net.

Lancée sur internet le 8 septembre, une pétition en ligne adressée à la ministre de la santé et de l’action sociale Eva Marie Coll Seck s’en prend à la campagne d’affichage scandaleuse du produit Khess petch, qui signifie « toute blanche » en wolof. Cette pétition, qui a recueilli plus de 1000 signatures en l’espace de quatre jours, demande entre autres à la ministre de saisir les plus hautes autorités pour que cette publicité, faisant « l’ode au cancer de la peau », soit retirée des espaces publics.

Dans le même temps, la Radio télévision sénégalaise (RTS) vient de diffuser un documentaire intitulé « Une couleur qui me dérange » de la réalisatrice Khady Pouye qui attire l’attention sur la folie des femmes qui s’obstinent à dépenser chaque mois des milliers de francs CFA pour se procurer des produits qui attaquent leur peau et génèrent de graves problèmes de santé.

Dans les débats qui font actuellement rage au Sénégal, on pointe du doigt la responsabilité des animatrices de télévision, des speakerines, des femmes ministres et autres personnalités de premier plan dans l’engouement pour le blanchiment de la peau, elles qui exhibent fièrement leur peau jaune papaye. Les épouses des présidents Senghor et Wade n’étaient-elles d’ailleurs pas blanches et celle d’Abdou Diouf métisse ? « C’est comme si le premier canon de beauté au Sénégal était le teint métis ou khessalisé, quelle attitude aliénante et complexée au pays de la teranga », insiste encore Amadou Bakhaw Diaw sur son blog.

Cette publicité pro-dépigmentation a également inspiré l’ex-journaliste vedette de Jeune Afrique Francis Kpatindé qui signe une tribune sur le site Afriquinfos, dont il est le rédacteur en chef. Sous le titre « Sénégal : cherche Africaine désespérément ! », il raconte comment, après deux décennies passées à sillonner le continent africain, il est parvenu à la conclusion que l’Africaine, telle qu’il l’imagine, c'est-à-dire « bien dans sa tête et dans sa peau, fière d’être comme dame nature l’a conçue » a cessé d’exister. « Avec un épiderme décapé ou passé au mixer et des cheveux d’importation, l’Africaine a donc vécu », se désole-t-il, tout en se réjouissant toutefois de la mobilisation citoyenne qui a embrasé le Sénégal à la vue de ces photos de femme ni blanche ni noire, mais avec un côté alien à la Michael Jackson, un peu inquiétant, qui ont envahi les rues de Dakar. (publié dans le quotidien Fraternité Matin, Abidjan (21.9.2012)

 

09/09/2012

Le paradis, c'est ailleurs ?

Par Catherine Morand, journaliste

Lydie est Ivoirienne. Elle vit en Suisse à Fribourg, s'est mariée à un Helvète dont elle est aujourd'hui séparée, et s'occupe de son fils qu'elle a fait venir d'Abidjan. Elle bosse dur, des horaires de dingue, des montagnes de factures à payer chaque mois. Et en prime, sa famille qui appelle non stop d'Abidjan ou du village pour lui demander d'envoyer de l'argent. " Je ne peux même pas imaginer que tu sois en Europe, et que moi je sois là à souffrir comme ça", lui a récemment dit sa tante, et ça lui a fait mal. Pourtant, elle n'arrête pas d'envoyer de l'argent, mais on dirait que ça n'est jamais assez ; que là-bas, ils ne sont jamais contents. Lorsqu'elle est rentrée au pays pour les funérailles d'un membre de sa famille, c'est elle qui a tout payé. Mais ça n'a pas empêché ses parents au village de la harceler. " Toi, en Europe ! Mais pourquoi toi ? Nous ici, on a fait des sacrifices jusqu'ààà, et on n'est même pas arrivé jusqu'à Abidjan ", lui ont-ils crié. Quant à son oncle, il lui a carrément demandé de montrer son passeport pour vérifier si elle vivait réellement en Suisse ; et non pas cachée à Abidjan, mentant pour " faire malin sur eux ».

Lydie aimerait bien ne pas être touchée par la jalousie et la méchanceté de ses proches. Mais elle n'y arrive pas. Alors parfois, lorsque son coeur est trop lourd, et que ça lui pèse, elle raconte à ses amis suisses tous ces gens qui passent leur temps à la critiquer au pays, à dire qu'elle est méchante et égoïste, car elle a tout et eux rien; oubliant qu'à chacune de ses tanties, elle a envoyé de l'argent pour démarrer un petit commerce. Mais une semaine après, pschiiiiit, plus rien, tout s'était envolé, et il a fallu recommencer à donner… Lorsqu'en Suisse, elle se lève à l'aube, dans le froid et la nuit, pour se rendre à son travail, pénible, fatiguant, mal payé, elle pense souvent à tous ses cousins, garés à la maison, qui attendent tout des autres et rien d'eux-mêmes. Convaincus qu'un jour, la route se libérera pour eux aussi, et qu'ils partiront en Europe.

Les Ivoiriens que Lydie côtoie en Suisse, ce n'est pas ça non plus. Lorsqu'ils reviennent d'Abidjan, ils n'arrêtent pas de critiquer, de dire que le pays est devenu sale, que les maisons et les routes sont gâtées. " Ils feraient mieux d'encourager les gens à arranger, plutôt que de toujours critiquer ", regrette-t-elle. En fait, Lydie en veut beaucoup à tous ces Ivoiriens qui rentrent au pays en faisant les malins avec leurs blousons et leurs bottines, à tous ces " Parigots " avec leurs impers qui paradent sous la pluie au mois d'août lorsqu'ils sont en vacances à Abidjan, et qui font croire à leur entourage que là-bas, en Europe, c'est le paradis.

Bon, c'est vrai que si l'on y regarde de plus près, chacun de nous a dans sa tête un ailleurs meilleur, un paradis qui n'a rien à voir avec chez lui. Nous pouvons même passer à côté de notre vie et de l'endroit qui nous a vus naître, parce que dans notre tête, on est toujours ailleurs. J'y pensais l'autre jour à Genève en voyant déambuler des jeunes accoutrés comme les rappeurs américains qu'ils voient à longueur de clips évoluer sur MTV. Dans leur tête, c'est sûr, la Suisse, l'Europe, ça ne vaut rien. Ce sont les Etats-Unis et leurs rappeurs en casquette, les pantalons à mi-fesses, l'air déglingué, qui sont au top. Ces jeunes vivent à Genève, mais se rêvent à New York, projetés dans leur Amérique imaginaire, les écouteurs vissés sur les oreilles, avec de la musique US à plein tube. A chacun son rêve d'un ailleurs meilleur, donc. Dommage. Car à force d'imaginer que c'est mieux ailleurs, on se prive non seulement d'apprécier ce qu'on a chez soi. Mais aussi de se bouger pour faire changer les choses, pour que chez soi devienne meilleur, et trouver sa propre voie.

Il faut dire que c'est tellement plus facile d'imaginer qu'ailleurs, c'est mieux, et qu'un jour on arrivera là-bas, plutôt que de tout faire pour que là où l'on vit, ça devienne tellement bien, qu'on n'ait plus besoin de rêver d'aller vivre ailleurs. (paru dans le quotidien Fraternité Matin, Abidjan)