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29/10/2012

Le téléphone portable de Valentin

Par Catherine Morand, journaliste

A peine débarqué de son Burkina Faso natal, Valentin a consacré à l’achat d’un téléphone portable la totalité de son premier salaire de jardinier dans un quartier chic d’Abidjan. Il a ensuite passé ses journées avec son « cellulaire » vissé à l’oreille, parlant haut et fort, afin que nul n’ignore qu’il avait, lui aussi, rejoint la grande famille des « connectés ».

Il fut un temps, en Afrique comme ailleurs, où un téléphone portable était un signe extérieur de richesse, que seuls pouvaient s’offrir les «en haut d’en haut». Mais son usage s’est répandu comme une traînée de poudre jusque dans la brousse la plus profonde, les villages les plus reculés. Aujourd’hui, pas un chauffeur de taxi ni une vendeuse au marché ou encore un « businesseur » qui n’ait son portable. Même les féticheurs sont atteignables sur leur cellulaire, 24 heures sur 24, par une clientèle exigeante, qui veut pouvoir compter sur un petit coup de pouce à tout moment.

Du coup, les «grands quelqu’un » sont obligés de faire de la surenchère : dans les dîners en ville, les personnes importantes alignent ostensiblement trois ou quatre « phones » dernier cri. Pas très agréable d’ailleurs de déjeuner face à un tel déploiement de technologies sophistiquées, qui émettent les signaux et bruitages les plus improbables, démontrant ainsi, si c’était nécessaire, que vous êtes face à une personne recherchée, sollicitée, et donc au top. Et cela ne semble guère gêner certains interlocuteurs que toute conversation suivie soit devenue quasiment impossible.

Au cours de ces dernières années, la téléphonie mobile a certes explosé dans le monde entier. Mais c’est le continent africain qui a connu l’accélération la plus spectaculaire, avec une croissance de près de 50% par année. Et 100 millions de nouvelles lignes activées sur le continent l’année dernière. Du côté des grands opérateurs mondiaux, c’est la ruée. Pas un ne manque à l’appel : le groupe français Orange, sud-africain MTN, l’opérateur des Emirats arabes unis Moov, l’indien Bharti Airtel, le britannique Vodafone…Ils sont tous là à se disputer âprement les parts de marché d’un secteur en plein boom, qui génère des bénéfices colossaux.

Valentin a donc rejoint la grande cohorte de tous ceux qui, jour après jour, consacrent beaucoup d’énergie à acquérir des «unités» pour leur portable. Dans des pays où les lignes de téléphone fixe sont en mauvais état ou ont cessé d’exister, l’arrivée du téléphone portable a profondément modifié les échanges. Plus besoin de parcourir des kilomètres pour avoir des nouvelles de la famille restée au village. Et les transferts d’argent sont désormais possibles via les mobiles, notamment par un système de virement par SMS baptisé M-Pesa. Bon pour le business ! Autant dire qu’on n’a pas fini d’entendre le fameux « Allo, t’es où ? » résonner en dioula, wolof, lingala, baoulé, moré, à l’unisson de la planète Terre, en voie de totale connexion. (Publié dans Le Matin Dimanche, Fraternité Matin, Le Courrier).

26/10/2012

La face obscure du miracle indien

Par Catherine Morand, journaliste

 

L’expression est de la romancière indienne Arundhati Roy, qui évoque régulièrement dans ses écrits le sort de centaines de millions de paysans, spoliés de leurs terres, livrés aux multinationales de l’agrobusiness, sans appui ni protection de l’Etat, véritables laissés pour compte du « miracle » économique indien, alors qu’ils représentent plus de 70% de la population.

 

Ces véritables « damnés de la terre » - qui croupissent dans une misère sans issue, se suicident pas dizaines de milliers en absorbant des pesticides, quittent leur lopin de terre, étranglés qu’ils sont par des dettes - ont repris en ce début du mois d’octobre 2012 leur bâton de pèlerin pour crier leur désespoir, et marché, marché, marché, sur des centaines de kilomètres. Une « marche de la justice » coordonnée par le mouvement Ekta Parishad, qui s’inspire de la « marche du sel » menée par Gandhi en 1930 pour arracher l’indépendance aux colons britanniques.

 

Ils avaient déjà été des milliers à marcher en octobre 2007 pour exiger une véritable réforme foncière, qui leur permettrait de devenir propriétaires de la terre qu’ils cultivent depuis des générations, et d’échapper ainsi à la prédation de l’Etat central et des sociétés privées de l’agrobusiness qui font main basse sur la terre. Mais sans succès.

 

Le 11 octobre dernier en revanche, une semaine seulement après le début de la marche de quelque 100'000 paysans sur la capitale Dehli, le gouvernement indien a fait une volte-face spectaculaire en s’engageant à procéder rapidement à une réforme agraire majeure. Du coup, les marcheurs ont mis un terme à leur périple, dans la ville d’Agra qui abrite le Taj Mahal, pour célébrer cette victoire, en parlant de ce 11 octobre 2012 comme « d’un jour historique dans une cité historique ».

 

Le gouvernement central de Dehli s’est engagé à convaincre chaque Etat de mettre rapidement en œuvre une réforme agraire, à présenter d’ici 6 mois une directive qui offre un meilleur droit au logement et à l’accès à la terre pour des millions de paysans, et promis la mise en place de tribunaux spéciaux afin de résoudre les conflits interminables autour de la propriété de terres, qui opposent souvent des paysans à des grandes compagnies actives dans l’agrobusiness.

 

Une semaine plus tard, le 19 octobre 2012, le prestigieux quotidien économique indien « The Economic Times » lâchait une autre « bombe » en annonçant dans ses colonnes qu’un comité de six experts scientifiques indiens de premier plan, mandatés par la Cour Suprême recommandait un moratoire de dix ans et l’arrêt total des essais en plein champ de l’ensemble des cultures génétiquement modifiées, coton transgénique compris.

 

Si le moratoire était confirmé, cela représenterait une belle victoire pour toutes les organisations paysannes, de protection de l’environnement, de consommateurs, qui luttent et résistent depuis des années à l’introduction d’OGM dans l’agriculture indienne. Ainsi que pour l’ancien ministre de l’environnement Jairam Ramesh qui avait exigé un moratoire sur l’introduction d’une variété d’aubergine transgénique estampillée Monsanto, malgré les pressions insensées de la compagnie américaine, qui exerce un lobby incessant sur les élus indiens.

 

En apprenant cette nouvelle, j’ai aussitôt repensé aux villages indiens dans lesquels je me suis rendue il y a trois ans, inondés par une publicité outrancière de Monsanto et de Syngenta, vantant les bienfaits de leur coton transgénique, mettant en scène des gourous ou des acteurs de Bollywood, pour les aider à convaincre les paysans indiens d’acheter leurs semences de coton génétiquement modifiées, qu’ils devront racheter chaque année au prix fort. Les récentes recommandations du comité d’experts scientifiques auprès de la Cour Suprême représentent en tout cas un véritable pied de nez au très puissant lobby agrogénétique indien, animé et soutenu par Monsanto, Syngenta et quelques autres. (publié dans le quotidien Le Courrier, Genève, 26.10.2012)

20/10/2012

Un problème ? Vite un mur...

Par Catherine Morand, journaliste

 

 Cest fou ce que les murs ont la cote en ce moment. Depuis la chute du mur de Berlin et à l'heure de la mondialisation plus ou moins triomphante, on pensait pourtant leur ère révolue. Or c'est tout le contraire qui est en train de se passer, avec le retour en force des grandes muraille et des barbelés sur la prairie. Dernières constructions en date : la Grèce qui bâtit une muraille sur sa frontière avec la Turquie ; ou celle qu'est en train d'ériger le Pakistan le long de sa frontière avec l'Afghanistan pour empêcher les infiltrations de talibans, qui devrait mesurer à terme 32 km de long, et traverser le territoire pachtoune.

 

Un problème à résoudre, vite un mur ? Les exemples pullulent, en tout cas, aux quatre coins de la planète : la Thaïlande a ainsi dévoilé son projet de construire un mur de 75 km sur sa frontière avec la Malaisie pour empêcher le passage de "terroristes". Les plus connus : le mur de quelque 1200 km que l'administration Bush avait ordonné de bâtir entre les Etats-Unis et le Mexique pour renforcer les barrières déjà existantes, celui de plusieurs centaines de kilomètres qui sépare Israël et la Cisjordanie, les clôtures de barbelés encerclant les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc, contre lesquelles viennent se fracasser les migrants.

 

L'Inde s'est également lancée dans la construction d'une barrière de 3300 km pour endiguer l'immigration venue du Bangladesh. Le Botswana a mis en place une clôture électrique de 480 km sur sa frontière avec le Zimbabwe pour limiter l'immigration en provenance de ce pays ; et l'Arabie Saoudite est en train d'ériger des murs dotés de matériel de contrôle ultrasophistiqué pour se protéger au nord de l'Irak et au sud du Yémen.

 

Mais est-ce bien raisonnable d'imaginer que les problèmes liés à l'immigration, au "terrorisme", à la misère, puissent être résolus en truffant la planète de murs et de miradors ?

 

La construction de murs par l'armée américaine pour séparer les quartiers sunnites et chiites de Bagdad avait résonné comme un formidable aveu d'impuissance de parvenir à toute solution politique. Une entreprise qui avait été ensuite stoppée par les nouvelles autorités irakiennes.

 

Le désir de se "protéger" derrière des remparts est devenu une réalité, y compris au coeur des grandes métropoles, où les nantis ont de plus en plus tendance à se retrancher dans de véritables forteresses, voire à chercher refuge dans des quartiers "privatisés", où l'on n'accède que par des check points contrôlés par des gardes armés.

 

Abidjan en sait quelque chose. Pour se protéger des bandits de grand chemin comme des milices armées, les habitants de la capitale économique n'ont cessé, au cours de ces dernières années, d'ériger des murs de plus en plus haut, hérissés de barbelés ou de tessons de bouteilles, pour protéger leur quartier, leur maison, leur cour, quitte à se retrouver dans de véritables fours, tant l'air n'arrive plus à circuler. Pauvre Perle des Lagunes désormais striée de hauts murs, dont les habitants zigzaguent entre des barrières et des portails, censés les protéger du malheur.

 

En Europe aussi, les murs ont également fini par surgir. Par exemple dans la ville italienne de Padoue, où les autorités ont fait construire un mur d'acier de 84 mètres de long sur 3 mètres de haut pour séparer un quartier d'immigrés d'un quartier résidentiel…

 

Les murs du monde ? Autant d'aveux d'impuissance, véritable degré zéro de l'action politique. Les dirigeants n'arrivant plus à maîtriser les problèmes liés à l'immigration, au grand banditisme, au "terrorisme ", ou tout simplement à l'extrême pauvreté des uns et à la richesse indécente des autres, cherchent à les résoudre en construisant des murs. Et en se barricadant eux-mêmes derrière de hautes murailles, comme les seigneurs du Moyen Âge. (Publié dans Le Matin Dimanche, Fraternité Matin)