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15/11/2013

Des otages libérés sur fond de bras de fer sur le prix de l'uranium

Les otages français qui ont été libérés au Niger sont des employés d’Areva, le géant français du nucléaire, et de Satom, une filiale du groupe Vinci, qui gère la partie logistique de l’extraction de l’uranium dans ce pays.

Cette libération, dans laquelle les autorités nigériennes ont pesé de tout leur poids, va-t-elle leur bénéficier, alors qu’elles ont demandé à ce que les contrats qui les lient à Areva soient renégociés ? Rien n’est moins sûr.

Le groupe français, présent au Niger depuis 1958, est pourtant très dépendant du Niger, qui a été en 2012, son deuxième fournisseur d’uranium, juste derrière le Kazakhstan, et devant le Canada, avec plus d’un tiers de son approvisionnement. Mais le « yellow cake » ne contribue qu’à hauteur de 5% du budget du Niger pour l’année 2012, avec des recettes fiscales de quelque 100 millions de dollars, un montant dérisoire, loin derrière l’agriculture et l’élevage, un comble.

Le président du Niger Mahamadou Issoufou, élu démocratiquement en 2011, estimant à juste titre ce partenariat déséquilibré, a annoncé au début de ce mois d’octobre qu’il souhaitait que ces contrats soient « passés au peigne fin », avant d’être renouvelés d’ici la fin de l’année.

Aux yeux de Ali Idrissa, journaliste et responsable du ROTAB, une organisation de la société civile nigérienne qui se bat dans le cadre de la campagne internationale « Publiez ce que vous Payez » pour une gestion transparente des ressources minières et pétrolières, il s’agit là « d’un tournant décisif de l’histoire du Niger », puisque jusqu’alors, et depuis plus de 40 ans, les contrats entre Niamey et Areva sont reconduits tacitement, « les yeux fermés ». Pour le plus grand bonheur du géant mondial du nucléaire. Un peu moins pour le Niger et la population vivant dans la zone d’extraction, qui a surtout hérité de 50 millions de tonnes de résidus radioactifs, et d’une nappe phréatique contaminée.

En voyant les gesticulations du président d’Areva Luc Oursel au cours de ces dernières semaines, on doute cependant qu’il soit prêt à entrer en matière. Il a tout d’abord effectué une visite éclair au Niger, le 7 octobre, pour rencontrer le président Issoufou. Areva a ensuite annoncé qu’elle allait devoir interrompre sa production d’uranium dans l’une de ses filiales au Niger. Ensuite, il y a quelques jours, Areva s’est empressée de signer un accord pour exploiter un gisement dans le désert de Gobi, en Mongolie ; histoire de bien faire comprendre à Niamey que si elle exige un meilleur prix pour son uranium, d’autres pays les attendaient les bras ouverts…

Un véritable bras de fer. Mais aussi une vision à très courte vue. Tout le monde a en effet intérêt à soutenir le président Mahamadou Issoufou dans sa volonté de tirer un meilleur parti des richesses de son sous-sol, lui qui évolue sur une corde raide, pris en étau entre ses compatriotes et tout particulièrement sa jeunesse, qui lui demandent d’améliorer leurs conditions de vie; et sa coopération avec la France et les Etats-Unis dans leur lutte contre le djihadisme, qui place son pays dans l’œil du cyclone.

Lors d’une conférence internationale qui s’était tenue au début de cette année en Suisse, le journaliste nigérien Ali Idrissa avait insisté pour dire à quel point il était important pour les entreprises minières et pétrolières de payer un prix correct pour les produits qu’elles extraient du sous-sol du Niger et d’autres pays africains. Et aussi de créer des jobs dignes de ce nom pour une jeunesse désoeuvrée et clochardisée. C’est précisément en raison de ce manque de perspectives professionnelles, avait-il insisté, que les jeunes dans son pays sont tentés de rejoindre des groupes extrêmistes, ou alors de partir à l’aventure pour rejoindre l’Europe. Les dizaines de dépouilles de migrants retrouvées il y a quelques jours dans le désert au nord du Niger, vient rappeler la dramatique pertinence de son analyse.

 

 

 

17/03/2013

Un "Sommet mondial des matières premières" à Lausanne

Par Catherine Morand, journaliste

Du 15 au 17 avril prochain, l’Hôtel Beau-Rivage Palace à Lausanne accueillera la deuxième édition du « Sommet mondial des matières premières » organisé par le Financial Times, qui réunira des représentants des principales sociétés de trading, banques d’investissements et groupes actifs dans le secteur des matières premières à l’échelle mondiale.

Ce n’est pas un hasard si cet événement se tient en Suisse : au cours de ces dix dernières années, de nombreuses sociétés de négoce se sont installées dans l’arc lémanique et le canton de Zoug ; elles seraient désormais entre 400 et 500 sur les seuls bords du lac Léman.

Que des représentants de Glencore, Goldman Sachs, Total, BNP Paribas, Pictet Asset Management, Rio Tinto ou Vitol se retrouvent dans les salons cossus de l’Hôtel Beau-Rivage Palace à Ouchy-Lausanne, c’est leur droit le plus strict. Que des organisations qui sont actives dans des pays dont la pauvreté n’a d’égal que la richesse de leur sous-sol, ou encore des associations et partis politiques prônant solidarité internationale et justice fiscale estiment que c’est une bonne opportunité pour faire entendre leur voix, c’est tout aussi légitime.

C’est ainsi qu’une trentaine d’entre elles se sont réunies en un Collectif contre la spéculation sur les matières premières, pour rebondir sur l’actualité de ce « Sommet mondial » et dénoncer la spéculation qui fait exploser les prix des denrées alimentaires, les avantages fiscaux et la fuite des capitaux qui plongent les pays producteurs dans la misère, détruisent leur environnement, polluent les cours d’eau, chassent les populations de leurs terres.

Le samedi 13 avril à Lausanne se tiendra un forum qui donnera la parole à des ressortissants colombien, congolais, canadien, qui témoigneront des violations dont eux et leurs compatriotes sont victimes de la part de sociétés transnationales qui extraient la richesse de leurs sous-sols ; ou de fonds de pension qui achètent des milliers d’hectares, avec la complicité de leurs autorités. Le journaliste d’investigation Gilles Labarthe sera présent avec son dernier livre « Reportages de l’autre côté du monde », tout comme Jean Ziegler et son ouvrage « Destruction massive », le conseiller national Carlo Sommaruga ou encore le professeur d’université Sébastien Guex et l’historien zougois Jo Lang.

Le lundi 15 avril, une manifestation sillonnera les rues de Lausanne en demandant aux autorités fédérales de créer les bases légales pour que les entreprises ayant leur siège en Susse, respectent les droits humains et l’environnement partout dans le monde, prennent des mesures pour favoriser la transparence dans les flux financiers issus de l’exploitation des matières premières, et créent les bases légales contre la spéculation sur les matières premières agricoles. Autant de revendications formulées par les campagnes Droit sans frontières, Publiez ce que vous payez ou Stop à la spéculation.

C’est exactement ce que nous demandent les personnes qui se battent dans les pays dits du Sud, à savoir que nous exigions des sociétés actives dans leurs pays pour en extraire les richesses naturelles qu’elles respectent les mêmes normes qu’en Suisse ou ailleurs en Europe. Or, rien de tout cela pour l’instant. Il suffit de citer l’exemple du Delta du Niger où depuis une cinquantaine d’années, le pétrole brut pollue et détruit cette région, sans susciter le même scandale que la marée noire d’il y a trois ans, provoquée par BP dans le Golfe du Mexique, dont le procès vient de s’ouvrir.

Le gouvernement américain accuse le géant britannique de « faute lourde » et semble décidé à lui faire payer un maximum, à titre de dédommagement. Rien de tel en revanche pour les pays dits pauvres, qui ont beau s’époumoner pour dénoncer les désastres écologiques et sociaux dont ils sont le théâtre, ils peinent à être entendus et indemnisés. Selon que vous serez puissants ou misérables… disait un certain Jean de Lafontaine il y a à peine quatre siècles.(Publié dans le quotidien Le Courrier, Genève, le 15 mars 2013)

 

29/09/2012

La malédiction des matières premières, ça suffit !

Par Catherine Morand, journaliste

Plus le sous-sol d’un pays est riche en minerais, en pétrole, en métaux précieux, plus sa population croupit dans une déglingue sans issue. Dans tous les pays ? Non. Si un fermier américain trouve du pétrole dans son champ, il saute en l’air de joie : sa fortune est faite. Si un paysan congolais ou péruvien voit des représentants de sociétés minières ou pétrolières débarquer dans sa région, il sait que les ennuis commencent ; et il se tourne vers le ciel pour demander ce qu’il a fait pour mériter une telle malédiction.

Le terme n’est pas trop fort. Car sinon, comment expliquer, par exemple, que la population du Niger, pays qui figure parmi les premiers producteurs d’uranium – qui alimente les centrales nucléaires françaises -  qui regorge d’or et aussi de pétrole, soit jusqu’à aujourd’hui identifiée comme l’une des plus misérables au monde ?

Cette réalité, hé bien des dizaines d’organisations non gouvernementales, des ONG du monde entier, ont estimé, il y a tout juste dix ans, que ce n’était pas une fatalité. Elles ont lancé une campagne mondiale, intitulée « Publiez ce que vous payez », en anglais « Publish What You Pay », qui exige des sociétés minières et pétrolières de rendre publics les montants qu’elles versent aux autorités des pays producteurs, en échange de milliers de barils, de tonnes d’or, d’uranium ou de coltan.

Pourquoi ? Pour mettre un terme à la signature de contrats conclus en toute opacité entre des gouvernements corrompus et des compagnies qui se comportent souvent comme des gangsters, tirant profit de toutes les failles d’Etats fragiles et de non droits. De telles informations permettent par ailleurs aux citoyens de ces pays de demander des comptes à leurs dirigeants quant à l’utilisation de ces fonds, et de faire pression pour qu’ils servent réellement à améliorer les conditions de vie de la population.

Du 17 au 19 septembre 2012 à Amsterdam, des représentants d’une soixantaine de pays ont fait le bilan de cette décennie, qui a permis des avancées spectaculaires, aussi bien dans les pays producteurs que dans ceux qui abritent les sièges de sociétés actives dans le négoce et l’extraction de matières premières. Le coup de tonnerre est parti des Etats-Unis où dès l’année prochaine, après des années d’intense lobbying, ces sociétés devront rendre publics les montants versés aux gouvernements. Une véritable révolution ! Et l’Union européenne est en train de plancher sur des règles similaires, qui devraient être promulguées cet automne.

Du coup, léger malaise. Que va faire la Suisse, qui est devenue un véritable plaque tournante du commerce de pétrole brut et autres matières premières extractives ? Pourra-t-elle encore longtemps, seule contre tous, renoncer à exiger davantage de transparence dans les flux financiers de ces sociétés à la réputation sulfureuse, ayant leur siège en Suisse, telles que Glencore, Xstrata, ou encore Trafigura ? Et courir le risque de voir sa réputation régulièrement entachée par des scandales retentissants. (Publié dans le quotidien 24 Heures, Lausanne (27.9.2012) et la Tribune de Genève (28.9.2012)