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29/08/2012

L'Afrique dit non aux OGM

Par Catherine Morand, journaliste

« Depuis quelques années, nous assistons à une véritable agression de nos paysans, de nos chercheurs, mais aussi de nos responsables politiques, afin qu’ils ouvrent toute grande la porte de l’Afrique aux OGM (organismes génétiquement modifiés)». J’ai rencontré dernièrement l’auteur de cette affirmation, une scientifique malienne, Assétou Samaké, biologiste, généticienne et professeur à l’Université de Bamako. Femme pressée, énergique, brillante, elle sillonne l’Afrique de l’Ouest, avec un message clair : pour elle, ainsi que pour les membres de la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (COPAGEN), dont elle fait partie, les semences transgéniques que les grandes compagnies agrochimiques comme Monsanto, Syngenta et les autres, veulent imposer à l’Afrique, sont une imposture.

Elle évoque ces rencontres organisées aussi bien sur le continent africain qu’aux Etats-Unis, auxquelles sont conviés à grands frais des chefs d’Etats, des ministres de l’agriculture, ainsi que des responsables de centre de recherche ou des leaders d’associations paysannes, pour leur expliquer que l’agriculture africaine a besoin des OGM et que la recherche agricole, sur le continent, doit aller dans ce sens. « On les invite, on les loge dans les plus grands hôtels, on leur montre de grands champs de coton ou de soja transgéniques, et à leur retour, ils ne jurent que par les OGM », dénonce Assétou Samaké, qui n’hésite pas à parler d’une forme de « corruption idéologique ».

Du coup me raconte-t-elle, le peu de ressources financières consacrées à la recherche scientifique sur le continent africain est  réorienté vers les OGM et les biotechnologies . « Il s’agit là d’un détournement de ressources, car les besoins des paysans africains qui assurent la majorité de la production alimentaire ne se situent pas là ».

Reste que dans un contexte de grande précarité économique, il est difficile pour un chercheur bien formé, mais privé de crédits, de résister aux fonds colossaux mis à la disposition par Monsanto, Syngenta, mais aussi l’USAID, ou encore l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), pour faire de la recherche sur des variétés de mil, de sorgho ou de maïs transgéniques. « Après la corruption idéologique de nos dirigeants vient la corruption financière de nos chercheurs », dénonce Assétou Samaké ».

Elle évoque avec un brin de nostalgie la situation qui prévalait dans les années 60-70. Les Etats africains misaient alors sur l’autosuffisance alimentaire et une valorisation des ressources génétiques nationales. « Nous disposions alors de structures de recherches dignes de ce nom, qui avaient été nationalisées après les indépendances, explique-t-elle. La recherche agricole nationale a obtenu des résultats intéressants dans l’amélioration de nos semences locales, adaptées à notre contexte ». Puis vint le temps des ajustements structurels du FMI et de la Banque mondiale, avec des coupes importantes dans le budget de la recherche ; et une réorientation des politiques agricoles. « On n’a plus alors parlé d’autosuffisance alimentaire, mais de sécurité alimentaire, en clair, on nous a dit : « Mangez ce qu’on vous apporte et taisez-vous ! Ne demandez pas d’où viennent les semences, nous nous occupons de tout ».

Pour cette scientifique brillante, le fait que l’Afrique perde de plus en plus le contrôle de ses programmes de recherche scientifique, de ses ressources génétiques, de ses semences, de ses choix même en matière d’alimentation, représente une douleur, une catastrophe. Elle tente d’en savoir le plus possible sur ce qui se concocte dans les laboratoires pour modifier génétiquement de variétés africaines dont les semences devront être rachetées chaque année au prix fort par les paysans. « Nous avons beaucoup de peine à obtenir les informations sur ce qui se trame dans les laboratoires de recherche, regrette-t-elle. Nous devons recouper les témoignages de paysans, de chercheurs. ».

C’est ainsi qu’elle a appris l’existence d’un sorgho génétiquement modifié développé par Syngenta en Suisse, avant d’être expérimenté en Afrique du Sud. Ou encore de niébé, qui fait l’objet d’expérimentations dans des laboratoires au Burkina Faso, pays devenu lui-même un véritable laboratoire pour toutes sortes d’expériences transgéniques, et ce dans l’opacité la plus totale. « Les tests sur les OGM sont cachés dans nos pays, parce que leurs promoteurs savent qu’il y a de la résistance », conclut-elle, bien décidée à tout faire pour accroître cette résistance.

27/08/2012

Les terres agricoles, nouvel Eldorado des investisseurs

Par Catherine Morand, journaliste

Dans les salons feutrés du luxueux hôtel Victoria Park Plaza au cœur de Londres s’est tenu, du 26 au 28 juin 2012, le Sommet de l’investissement agricole (The Agriculture Investment Summit) qui a drainé le gratin des financiers chargés de la gestion de grands fonds d’investissements et de fonds de pension.

C’est que ces fonds cherchent de plus en plus à « investir» dans les terres et les matières premières agricoles, ou encore les agrocarburants, afin de diversifier leur portefeuille de placements, dans un contexte de marchés à risques. A Londres, comme l’année dernière à l’hôtel Kempinski à Genève, mais aussi à New York, Singapour ou encore à Addis-Abeba en octobre prochain, des séminaires pour la promotion des investissements agricoles et l’achat de terres se multiplient, avec succès.

Ainsi, l’ingéniérie financière, toujours à l’affût de nouvelles opportunités qui rapportent vite et gros, a-t-elle trouvé de nouvelles pistes aux rendements prometteurs du côté des matières premières agricoles et l’acquisition de terres cultivables aux quatre coins de la planète.

Les fonds de pension – c'est-à-dire notre AVS, nos plans d’épargne retraite -  sont même devenus les plus grands « investisseurs » institutionnels dans les terres agricoles de par le monde. Nous pourrions donc nous réjouir que nos retraites soient entre de si bonnes mains et nos vieux jours assurés.

Seul petit problème : ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’ « accaparement des terres » prend des allures d’ Apocalypse now en Afrique et ailleurs. L’année dernière, à Dakar, j’avais eu l’occasion de rencontrer des dizaines de ces hommes et de ces femmes chassés de leurs terres, qu’ils cultivent depuis des générations, dévastées par des machines agricoles qui profanent leurs cimetières et arrachent tout sur leur passage pour préparer le sol pour l’agrobusiness.

« Nous avons été chassé comme des moins que rien, avait témoigné un vieillard filiforme à l’allure biblique. Nous n’avons plus de champs, nulle part d’autre où aller. Qu’on nous les redonne, sinon, de quoi allons-nous vivre ? »

A leurs yeux, ce qui est en train de se passer signifie la mise à mort des exploitations agricoles familiales sur le continent, qui occupent pourtant entre 70 et 80% de la population. Avec comme seule alternative de devenir des ouvriers agricoles miséreux ou d’aller grossir les rangs des nécessiteux s’entassant aux abords de villes qui ne procurent aucun emploi.

Du coup, les placements de nos fonds de pension ont un petit goût amer. Cela explique pourquoi la semaine dernière également plusieurs dizaines d’ONG ont demandé aux Etats de prendre leurs responsabilités pour que « l’accaparement des terres par les fonds de pension et les institutions financières cessent » ; et aux citoyens d’exercer leur droit de regard sur le type d’investissements consentis en leur nom (publié dans le quotidien 24 Heures, Lausanne)

24/08/2012

TINA est de retour en Grèce

Par Catherine Morand, journaliste

«On essaye de survivre, mais c’est dur.» Cette phrase, je l’ai entendue plusieurs fois sur l’île de Santorin, en Grèce, d’où j’écrivais il y a exactement une année ces quelques lignes qui demeurent d’actualité. Les Grecs que j’y ai croisés travaillent une douzaine d’heures par jour pour des salaires de misère, ou alors cumulent plusieurs jobs pour tenter de garder la tête hors de l’eau. Dans les boutiques, les restaurants, la télévision est allumée, les gens suivent avec anxiété les débats au parlement, les images d’émeutes dans la capitale Athènes. «On va tout nous arracher, nous sommes finis», commente un vieil homme.

Ce qui est en train de se passer en Grèce ressemble comme deux gouttes d’eau à ce qu’avaient vécu de nombreux pays africains dans les années 80-90. Surendettés par l’irresponsabilité aussi bien de leurs dirigeants que de sociétés privées et d’institutions financières, le réveil fut rude. Les délégations du FMI débarquèrent dans les capitales, prirent leurs quartiers dans les hôtels de luxe et les bureaux du Ministère des finances, et imposèrent leur modèle économique unique ultralibéral. Depuis lors, ces pays n’ont plus jamais regagné le contrôle de leurs propres économies, pilotées depuis Washington par les petits génies de la finance mondialisée.

Aujourd’hui, nous assistons bel et bien au retour de TINA en Grèce. TINA ? C’est l’acronyme de «There Is No Alternative» (il n’y a pas d’alternative), slogan désormais célèbre, régulièrement asséné pour faire croire qu’il n’existe pas d’alternatives à une économie ultralibérale. A «TINA», certains répliquent pourtant par «TATA», soit : «There Are Thousands of Alternatives» (il y a des milliers d’alternatives).

Mais visiblement, en Grèce, l’heure n’est pas à la recherche d’options différentes: vente à la découpe de biens publics, baisse des salaires des fonctionnaires, coupe dans les dépenses sociales et la santé, vente d’îles, privatisation des ports, des aéroports, des chemins de fer, de l’électricité, des plages touristiques... tout y est.

Ce qui est totalement fascinant, c’est que, malgré la déglingue durable dans laquelle de nombreux pays sont plongés depuis des décennies, après avoir appliqué à la lettre les mesures imposées par le FMI, ce sont exactement les mêmes recettes qui sont exigées aujourd’hui de la Grèce, du Portugal, et bientôt d’autres pays européens. Avec toutefois une nouveauté: le pouvoir faramineux qui réside désormais entre les mains des agences de notation financières et les grandes banques, qui dictent leurs lois face à des institutions politiques tétanisées, qui n’osent contester les critères édictés par des organismes privés.

Pourtant, la dette privée de la Grèce, boostée par des prêts bancaires irresponsables, tout comme sa dette publique, mériteraient d’être auscultées de plus près. On se rendrait compte qu’entre les dettes héritées de la dictature des colonels, le scandale des Jeux olympiques de 2004 ou encore les pots-de-vin gigantesques versés par des entreprises européennes aux autorités grecques pour obtenir des contrats, on pourrait, pour une bonne part d’entre elles, parler de dettes illégitimes, qui devraient être annulées. Mais en aucun cas supportées par la population qui crie aujourd’hui son indignation et sa révolte, face à l’incurie de sa propre classe dirigeante, et à un système financier qui ne lui laisse aucune chance.

Depuis plusieurs mois, des voix s’étaient pourtant fait entendre pour demander que soit réalisé un audit de la dette grecque, comme cela s’était fait en Equateur en 2007-2008, et qui avait abouti à une importante réduction de la dette de ce pays. La députée grecque Sophia Sakorafa a même proposé que la Grèce suive l’exemple équatorien, affirmant ainsi qu’il y existait bel et bien une alternative à la soumission aux créanciers, qu’il s’agisse des banques ou du FMI. Visiblement, elle n’a pas été entendue. Et TINA, une fois de plus, a triomphé. (chronique publiée dans le quotidien Le Courrier, Genève)