28/06/2013
Il faut se méfier des "sauveurs" de l'Afrique, tel le chanteur Bono
Par Catherine Morand, journaliste
Il faut toujours se méfier de celles et ceux qui prétendent « sauver » l’Afrique et se font connaître grâce à cette noble (?) mission. C’est ce qu’on serait tenté de penser en lisant l’article choc intitulé « Bono, la fausse voix de l’Afrique », publié le 21 juin 2013 dans les colonnes du quotidien britannique The Guardian par le journaliste anglais George Monbiot, et traduit en français par Le Courrier International (*).
L’éditorialiste dénonce en effet le fait que Bono, star rock irlandaise, loin de son image d’humanitaire désintéressé mobilisant la communauté internationale en faveur de l’Afrique, fait la promotion de la « Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition », lancée par le G8 aux Etats-Unis en 2012, et à nouveau promue avec vigueur par ce même G8, réuni les 17 et 18 juin 2013 dans un hôtel 5 étoiles en Irlande du Nord.
Mais quel est le problème, me direz-vous ? N’est-ce pas positif que de bonnes âmes se mobilisent pour que les Africains mangent à leur faim (étant entendu que vu d’Europe et d’Amérique, toute l’Afrique a faim matin, midi et soir) ? Hé bien non, car cette Alliance encourage de fait les Etats à signer des accords qui, au bout du compte, permettent à l’agrobusiness international de faire main basse sur les terres africaines, d’en chasser les familles de paysans qui y vivent, de breveter leurs semences et de s’octroyer de véritables monopoles sur leurs marchés alimentaires.
« Restant sourds aux voix de leurs peuples, six gouvernements africains ont déjà signé des accords avec des entreprises comme Monsanto, Cargill, Dupont, Syngenta, Nestlé et Unilever en échange de promesse d’aides de la part du Royaume-Uni et d’autres nations du G8 », précise George Monbiot dans son article. Faut-il rappeler que le G8 réunit les nations les plus industrialisées du monde que sont les USA, le Royaume-Uni, le Canada, l’Allemagne, la France, l’Italie, le Japon et la Russie, lesquelles sont l’objet d’un intense lobbying de la part de leurs grands groupes internationaux, pour la défense de leurs intérêts.
Mais revenons au chanteur Bono, qu’on voit régulièrement parler au nom des « pauvres » en Afrique au G8, au Forum économique mondial de Davos, aux côtés de Barack Obama, Bill Gates, Koffi Annan, Nicolas Sarkozy, etc. A tel point que désormais, dans de nombreuses rencontres internationales, on n’invite plus de représentants de l’Afrique, puisque Bono, lunettes fumées vissées sur le nez, parle en son nom… Dans une biographie qui vient de paraître au Royaume-Uni (The Frontman : Bono in the Name of Power, en français : Le chanteur Bono, au nom du pouvoir) son auteur Harry Brown accuse Bono d’être devenu « le visage compatissant de la technocratie mondiale ». Un portrait peu flatteur, complété par l’éditorialiste du Guardian qui estime qu’il s’agit là d’« un homme qui, sans aucun mandat, s’est autoproclamé porte-parole de l’Afrique et a servi de couverture « humanitaire » aux responsables occidentaux ». La messe est dite…
Personnellement, j’ai toujours trouvé ridicule le cirque médiatique et politique organisé autour de « Bono l’Africain », qui n’hésite pas à poser avec sa femme dans une pub pour les sacs de voyage de luxe Vuitton, sur fond de savane africaine au coucher du soleil. Il est d’ailleurs très ami avec Bob Geldof, autre grande figure de la philanthropie mondiale, ex-chanteur d’un groupe de rock anglais minable, qui s’est forgé une réputation (et une fortune) internationale en organisant des concerts pour lutter contre la faim en Ethiopie.
Bref, chacun se cherche, comme on dit à Abidjan, et on pourrait être tenté de se dire que ces musiciens anglo-saxons essayent au moins de faire bouger les choses et de secouer les consciences. Certes. Mais lorsque ces mêmes saltimbanques commencent à « rouler » pour une initiative qui va générer une nouvelle vague d’accaparements des terres en Afrique, ils ne font plus rire du tout. (Publié dans le quotidien Fraternité Matin, Abidjan, Côte d'Ivoire)
(*) http://www.courrierinternational.com/article/2013/06/21/bono-la-fausse-voix-de-l-afrique
17/11/2012
L'Afrique accro aux cubes Maggi
Par Catherine Morand, journaliste
Julius Maggi qui, à la fin du XIXe siècle, mettait au point son fameux bouillon dans son laboratoire de Kemptall près de Winterthour en Suisse, serait bien étonné d’apprendre que désormais, les cubes Maggi sont davantage consommés sur le continent africain qu’en Europe. Et que l’Afrique, en somme, est devenue complètement accro à ses cubes.
L’engouement est tel que les femmes ivoiriennes, sénégalaises, congolaises, béninoises, ne savent plus préparer la grande diversité de sauces qui accompagnent tous les plats sans avoir recours au « cube magique », laissant désormais de côté toute la gamme des condiments traditionnels pourtant plus riches en protéines, tel le soumbala, fabriqué artisanalement à partir de graines de néré, ou encore la poudre de crevettes.
Il faut dire qu’elles sont bien aidées en cela par un véritable matraquage publicitaire. Jusque dans la brousse la plus reculée, impossible en effet d’échapper au logo rouge et or du « cube Maggi avec étoile », qui s’étale sur les boutiques, recouvre les tables des gargotes et autres « maquis », orne les cuvettes en plastique, quadrille les marchés.
Sur les ondes des radios africaines et à la télévision, on frise l’overdose : les spots publicitaires vantant les mérites du cube Maggi sont omniprésents, et mettent en scène dans les langues locales des mères qui transmettent « les secrets de la bonne cuisine » à leur fille ; ou des jeunes femmes qui, grâce à leur savoir-faire culinaire, réussissent à garder leur mari à la maison. La pub de Nestlé, irrésistible, occupe le terrain et le message est reçu cinq sur cinq, dans un environnement économique sinistré où la publicité se fait rare.
Pour répondre à une demande qui explose, Nestlé fait tourner ses usines de Dakar, Abidjan, Accra ou Lagos à plein régime, parfois 24 heures sur 24, ce qui contribue à donner au cube Maggi un petit côté science-fiction, très « soleil vert ». C’est ainsi un million 500'000 cubes Maggi qui sont désormais fabriqués quotidiennement à Kinshasa dans l’usine que Nestlé Congo a inaugurée en septembre 2012 . On parle de 16 milliards de cubes consommés annuellement sur le continent africain, ou encore d’une production annuelle de 16'000 tonnes pour la seule usine de Dakar.
Fabriqué à plus de 50% de sel en provenance du Sénégal et de tourteaux d’arachides, le cube de bouillon contient aussi du glutamate de sodium, cet exhausteur de goût qui donne un goût de viande aux aliments. Et c’est là toute la magie des petits cubes : donner l’illusion de manger de la viande à des consommateurs qui n’ont depuis longtemps plus les moyens de s’en offrir.
Nestlé a ainsi parfaitement su s’adapter à un marché où les consommateurs disposent d’un revenu de plus en plus misérable pour se nourrir, en proposant un produit à prix très bas. Vendu à coup de 25 francs CFA les deux cubes, l’emballage jaune et or a encore de beaux jours devant lui. Le cube Maggi représente le luxe ultime que peuvent encore tout juste s’offrir des millions de ménages. Et pour Nestlé, un véritable jackpot.
19:57 | Tags : l'afrique accro aux cubes maggi, nestlé, cubes maggi, cubes magiques, néré, soumbala, nestlé congo | Lien permanent | Commentaires (0)