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17/10/2013

Le Prix mondial de l'alimentation à Syngenta et Monsanto? Une farce.

 

Par Catherine Morand, journaliste

C’est le 17 octobre 2013, au lendemain de la Journée mondiale de l’alimentation, que s'est déroulé aux Etats-Unis la cérémonie de remise du « World Food Prize », attribué cette année à trois figures historiques de la recherche sur les semences transgéniques : le vice-président de Monsanto Robert T. Fraley, la chercheuse américaine et membre fondatrice de Syngenta Mary-Dell Chilton, ainsi que le scientifique belge Marc van Montagu, président de l’European Federation of Biotechnology, le puissant lobby pro-OGM à Bruxelles.

Vanté par ses promoteurs comme « un Prix Nobel de l’alimentation et de l’agriculture », la crédibilité du « Prix mondial de l’alimentation » en prend toutefois un sacré coup lorsqu’on consulte la liste de ses sponsors. On y retrouve en effet le gratin de l’agrobusiness mondial, tels que Nestlé, Cargill, Archer Daniels Midland Company ; le fleuron des fabricants de semences transgéniques que sont Syngenta, Monsanto (qui a donné 5 millions de dollars au Prix en 2008), Bayer CropScience, DuPont Pioneer ; ainsi que les fondations américaines Bill & Melinda Gates, Rockfeller, très actives dans la promotion des biotechnologies partout dans le monde.

Lors de l’annonce du nom des lauréats en juin dernier, le directeur de l’ONG Food First Eric Holt-Giménez avait souligné, dans les colonnes du New York Times, qu’en raison de son « obsession grandissante » pour les biotechnologies, le World Food Prize « ignorait les succès » de méthodes agricoles non industrielles. Le bimensuel américain d’investigation Mother Jones avait également relevé que « depuis quelques années, la plupart des lauréats travaillent dans les mêmes structures agro-industrielles que celles qui financent les partenaires du Prix ».

Reste que la cérémonie du 17 octobre sera utilisée comme un formidable outil de promotion par Monsanto, Syngenta et tous les autres « parrains » du Prix, pour faire passer le message d’une agriculture industrielle high-tech et transgénique triomphante ;  tout particulièrement en direction du continent africain, devenu une priorité pour l’administration Obama, qui multiplie les initiatives pour y promouvoir des opportunités d’affaires.

C’est d’ailleurs en mai 2012, lors du sommet du G8 à Camp David aux USA, que le président Obama a annoncé en grande pompe le lancement d’une Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition (New Alliance for Food Security and Nutrition). Son but : encourager les investissements du secteur privé dans le secteur de l’agriculture en Afrique ;  en échange de quoi ces pays s’engagent à ouvrir tout grand leurs marchés, à réformer leurs codes d’investissements, leurs codes fonciers, les lois sur les semences, dans un sens favorable à l’investissement privé international.

De fait, la participation croissante du secteur privé dans les initiatives politiques internationales sonne comme une véritable aubaine pour les multinationales agrochimiques, qui peuvent ainsi avoir accès à des marchés prometteurs très faiblement régulés. Syngenta ne s’y est d’ailleurs pas trompée : sur son site, la société suisse met en avant sa contribution en faveur de « la sécurité alimentaire et de la lutte contre la pauvreté en Afrique ». Son CEO Mike Mack y déclare que « l’Afrique est devenue une région d’une importance stratégique pour notre entreprise ». Le continent africain est en tout cas considéré désormais comme la « dernière frontière » (final frontier) des marchés alimentaires et agricoles mondiaux, ce qui explique la ruée dont il est actuellement l’objet.

Une dizaine de pays africains ont déjà signé des accords avec des entreprises, prêtes à investir en échange d’un « climat commercial positif ». Reste que des voix se font de plus en plus entendre pour dénoncer les menaces que font peser la Nouvelle Alliance du G8, tout comme l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), pilotée par l’ex-secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan, et initiée par les fondations américaines Gates et Rockefeller ; des initiatives qui font avant tout la promotion des intérêts des multinationales agrochimiques, lesquelles proposent des solutions inadaptées et inappropriées, faisant fi des cadres de développement agricole existant.

Ces critiques ont été répétées au mois d’août 2013 à Addis-Abeba, lors d’une rencontre de l’AFSA (Alliance for Food Sovereignty in Africa), une coalition d’organisations paysannes et de la société civile issus d’une cinquantaine de pays. Elles ont dénoncé les menaces qui pèsent sur la libre circulation des semences, ainsi que l’accaparement de milliers d’hectares de terres par des conglomérats miniers et des sociétés d’exportation d’agrocarburants. Il a également été rappelé que ce sont précisément ces petits producteurs, chassés de leurs terres, qui nourrissent la population, en pratiquant une agriculture familiale et agro-écologique,  plus productive et adaptée aux changements climatiques. C’est également ce que vient de rappeler un rapport de la CNUCED intitulé « Réveillez-vous avant qu’il ne soit trop tard », rédigé par une cinquantaine d’experts. (Publié dans le quotidien Le Temps, Genève, le 16.10.2013)

 

28/06/2013

Il faut se méfier des "sauveurs" de l'Afrique, tel le chanteur Bono

Par Catherine Morand, journaliste

Il faut toujours se méfier de celles et ceux qui prétendent « sauver » l’Afrique et se font connaître grâce à cette noble (?) mission. C’est ce qu’on serait tenté de penser en lisant l’article choc intitulé « Bono, la fausse voix de l’Afrique », publié le 21 juin 2013 dans les colonnes du quotidien britannique The Guardian par le journaliste anglais George Monbiot, et traduit en français par Le Courrier International (*).

L’éditorialiste dénonce en effet le fait que Bono, star rock irlandaise, loin de son image d’humanitaire désintéressé mobilisant la communauté internationale en faveur de l’Afrique, fait la promotion de la « Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition », lancée par le G8 aux Etats-Unis en 2012, et à nouveau promue avec vigueur par ce même G8, réuni les 17 et 18 juin 2013 dans un hôtel 5 étoiles en Irlande du Nord.

Mais quel est le problème, me direz-vous ? N’est-ce pas positif que de bonnes âmes se mobilisent pour que les Africains mangent à leur faim (étant entendu que vu d’Europe et d’Amérique, toute l’Afrique a faim matin, midi et soir) ? Hé bien non, car cette Alliance encourage de fait  les Etats à signer des accords qui, au bout du compte, permettent à l’agrobusiness international de faire main basse sur les terres africaines, d’en chasser les familles de paysans qui y vivent, de breveter leurs semences et de s’octroyer de véritables monopoles sur leurs marchés alimentaires.

« Restant sourds aux voix de leurs peuples, six gouvernements africains ont déjà signé des accords avec des entreprises comme Monsanto, Cargill, Dupont, Syngenta, Nestlé et Unilever en échange de promesse d’aides de la part du Royaume-Uni et d’autres nations du G8 », précise George Monbiot dans son article. Faut-il rappeler que le G8 réunit les nations les plus industrialisées du monde que sont les USA, le Royaume-Uni, le Canada, l’Allemagne, la France, l’Italie, le Japon et la Russie, lesquelles sont l’objet d’un intense lobbying de la part de leurs grands groupes internationaux, pour la défense de leurs intérêts.

Mais revenons au chanteur Bono, qu’on voit régulièrement parler au nom des « pauvres » en Afrique au G8, au Forum économique mondial de Davos, aux côtés de Barack Obama, Bill Gates, Koffi Annan, Nicolas Sarkozy, etc. A tel point que désormais, dans de nombreuses rencontres internationales, on n’invite plus de représentants de l’Afrique, puisque Bono, lunettes fumées vissées sur le nez, parle en son nom… Dans une biographie qui vient de paraître au Royaume-Uni (The Frontman : Bono in the Name of Power, en français : Le chanteur Bono, au nom du pouvoir) son auteur Harry Brown accuse Bono d’être devenu « le visage compatissant de la technocratie mondiale ». Un portrait peu flatteur, complété par l’éditorialiste du Guardian qui estime qu’il s’agit là d’« un homme qui, sans aucun mandat, s’est autoproclamé porte-parole de l’Afrique et a servi de couverture « humanitaire » aux responsables occidentaux ». La messe est dite…

Personnellement, j’ai toujours trouvé ridicule le cirque médiatique et politique organisé autour de « Bono l’Africain », qui n’hésite pas à poser avec sa femme dans une pub pour les sacs de voyage de luxe Vuitton, sur fond de savane africaine au coucher du soleil. Il est d’ailleurs très ami avec Bob Geldof, autre grande figure de la philanthropie mondiale, ex-chanteur d’un groupe de rock anglais minable, qui s’est forgé une réputation (et une fortune) internationale en organisant des concerts pour lutter contre la faim en Ethiopie.

Bref, chacun se cherche, comme on dit à Abidjan, et on pourrait être tenté de se dire que ces musiciens anglo-saxons essayent au moins de faire bouger les choses et de secouer les consciences. Certes. Mais lorsque ces mêmes saltimbanques commencent à « rouler » pour une initiative qui va générer une nouvelle vague d’accaparements des terres en Afrique, ils ne font plus rire du tout. (Publié dans le quotidien Fraternité Matin, Abidjan, Côte d'Ivoire)

(*) http://www.courrierinternational.com/article/2013/06/21/bono-la-fausse-voix-de-l-afrique