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23/08/2013

Des porte-conteneurs géants et des pays désindustrialisés

 

Le mois dernier, François Hollande baptisait dans le port de Marseille le Jules Verne, l’un des plus grands porte-conteneurs au monde, fabriqué en Corée du Sud mais battant pavillon français. Curieuse image que celle de ce président français, impuissant à juguler la lancinante destruction d’emplois dans son pays. Mais qui inaugure un géant des mers chargé de transporter jusqu’en France des milliers de containers remplis des objets de consommation les plus courants, désormais fabriqués par d’autres, sous d’autres cieux. Et qui ne seront plus jamais produits en France, pour cause d’entreprises délocalisées.

Le développement spectaculaire du transport maritime par porte-conteneurs est relativement récent. Aujourd’hui, c’est la course au gigantisme, une véritable folie. Le Jules Verne peut ainsi transporter 16000 conteneurs, l’équivalent de la tour Eiffel ou de cinq Airbus A389. Une taille qui crée de nombreux problèmes, notamment aux infrastructures portuaires. Actuellement, pour s’adapter à ces géants des mers, des travaux pharaoniques sont en cours pour permettre le passage du canal de Panama à des Post-Panamax, ces tankers et porte-conteneurs de nouvelle génération, longs de 366 mètres, larges de 49 mètres, transportant jusqu’à 18 000 containers. Les nouvelles écluses devraient être inaugurées en 2014, à l’occasion du centenaire du canal de Panama.

C’est que pour ravitailler quelque 300 millions de consommateurs américains en vêtements, chaussures, jouets, meubles, appareils électroniques, denrées alimentaires – la liste est sans fin – ce sont désormais plus de 30 millions de containers qui traversent chaque année l’océan Pacifique. Pendant les périodes de pointe, avant Noël par exemple, les embouteillages de cargos en provenance de Chine au large des ports de Los Angeles et de Long Beach ont un petit air de débarquement en Normandie.

Si les conteneurs en provenance d’Afrique transportent le plus souvent des matières premières brutes, ceux en provenance des plus grands ports du monde en Chine, à Singapour ou en Corée du Sud regorgent des produits manufacturés qui inondent le monde entier. Mais repartent le plus souvent à vide d’Europe ou d’Amérique, ou alors avec du papier usagé ou du matériel électronique à recycler, puisque les Etats-Unis et la plupart des pays européens ne produisent bientôt plus rien.

Les porte-conteneurs immenses qui sillonnent les océans consomment entre 150 et 300 tonnes de fuel hautement polluant par jour. Et portent leur part de responsabilité dans le réchauffement climatique. L’aberration qui consiste à faire fabriquer les produits de consommation les plus basiques à des milliers de kilomètres se paie cash: à l’image des grands ports du monde, la planète est au bord de l’asphyxie. Tandis que les pays dits industrialisés ont bradé à tout jamais(?) leurs industries et leur savoir-faire.

Au fait, quelle est la différence entre les ports africains, européens ou américains? Aucune, car ils se ressemblent tous: des conteneurs empilés les uns sur les autres, à perte de vue, véritables symboles d’une économie mondialisée qui fait faire à chacun de ses produits des milliers de kilomètres sur les mers.

Dès lors se pose un petit problème d’ordre sémantique: peut-on encore parler de «pays industrialisés», alors que ceux-ci sont en voie de désindustrialisation avancée? Et de «pays en développement» ou «en voie d’industrialisation», puisqu’eux aussi vont faire leur marché dans les «zones économiques spéciales» de Shanghaï, Shenzhen ou Canton; et ne produisent toujours pas ce qu’ils consomment? (publié le 26 juillet dans le quotidien Le Courrier, Genève)

 

05/11/2012

Le rêve américain ? Il est mort...

Par Catherine Morand, journaliste

 

Depuis ses origines, l’Amérique est une terre mythique, le lieu de tous les possibles, où chacun a soit disant sa chance et peut réussir à s’enrichir pour autant qu’il travaille beaucoup. Le rêve américain a pénétré nos cultures et notre imaginaire, alimenté par des séries et des films made in Hollywood qui tournent en boucle sur nos chaînes de télévision nationales.

 

A tel point qu’on finirait presque par croire que la vie aux USA ressemble à celle des héroïnes déjantées de la série « Desperate Houswives » (« Les ménagères désespérées »), au volant de leurs voitures décapotables de luxe, virevoltant entre une séance de shopping et un barbecue chez les voisins. Las, cette image, ce mode de vie ne correspondent plus qu’à environ 10% des ménages américains, les plus riches. Les autres vivent de moins en moins bien, se sont « tiers-mondisés » à toute allure au cours de ces dernières années.

 

Pour ces millions d’Américains qui vivent désormais en-dessous du seuil de la pauvreté, dépendant de tickets d’aide alimentaire pour ne pas crever de faim, qui ont perdu leur maison et vivent dans leur voiture avant d’aller squatter un bout de trottoir, le rêve américain est bel et bien mort et enterré. Comme l’illustrent les nombreux reportages en direct de l’Amérique profonde, scrutée par les médias du monde entier en cette période électorale qui s’achèvera le 6 novembre par une élection présidentielle qui conserve tout son suspens.

 

Il y a les témoignages poignants de ces familles de la classe moyenne, qui vivaient, comme dans les séries américaines, dans une maison de plusieurs étages, avec une cuisine immense et un bloc au milieu, un escalier qui mène à des chambres à coucher mythiques et un beau jardin. Aujourd’hui, après avoir perdu leur emploi et s’être fait saisir leur maison par les banques, parents et enfants s’entassent dans la chambre d’un motel miteux, le long d’une autoroute. Le père comme la mère cherchent désespérément un job, mais il n’y en a plus. Quant aux enfants, ils ont honte de dire qu’ils vivent sur un parking ou à l’hôtel, et refusent d’aller à l’école pour éviter qu’on se moque d’eux. Dans de nombreuses villes, des centaines de maisons sont abandonnées, des quartiers entiers livrés aux pilleurs et aux marginaux.

 

Un étranglement économique qui touche aussi les jeunes, obligés de s’endetter de dizaines de milliers de dollars afin de payer leurs études et les frais d’écolage très élevés des universités, et qui se retrouvent aujourd’hui sans travail, assis chez leurs parents. Même diplômés, jeunes et vieux - obligés de travailler jusqu’à des âges très avancés parce que privés de retraite digne de ce noms – doivent cumuler plusieurs petits jobs pour garder la tête hors de l’eau. Et le moindre ennui de santé, dans un contexte où la plupart des gens n’ont pas d’assurance maladie, peut faire basculer toute une famille dans une misère sans issue.

 

Impressionnantes également ces villes au bord de la faillite, car surendettée, telle celle de Camden dans le New Jersey, obligées de licencier leur police, jugée trop coûteuse, ou leurs pompiers, de fermer les maisons de retraite, les garderies, et même de renoncer à éclairer les rues par manque de moyens.

 

Mais une telle déglingue n’est pas tombée du ciel. Alors, qui a tué le rêve américain ? Parmi les explications : la folie qui consiste à tout faire fabriquer à des milliers de kilomètres de chez soi, en Chine, en Inde ou au Brésil, par des sociétés qui délocalisent à tour de bras. Ou encore le harcèlement de la population encouragée à s’endetter par des banques en délire, totalement irresponsables, dans un contexte de complète dérégulation, et sans limites pour faire du cash.

 

C’est finalement la population américaine qui est la première victime de politiques économiques made in USA qui ont causé d’énormes dégâts également sous d’autres cieux, où, comme aux Etats-Unis, le fossé entre les riches et les pauvres n’a cessé de se creuser, pour atteindre aujourd’hui des profondeurs abyssales. (Publié dans le quotidien Fraternité Matin, Abidjan, 2.11.2012)