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18/03/2014

Les dictateurs, rois du kitsch et du bling-bling

 

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Les dictateurs aiment le kitsch et le bling-bling. Comme le prouve le palais de l'ex-président d'Ukraine, dont le luxe délirant n'avait rien à envier à ceux de Kadhafi, Ben Ali, Mobutu ou Bokassa.

Sols marbrés, escaliers en colimaçon, grotte aquarium, fauteuils rococos, salons en enfilades avec leurs colonnades « à la grecque », bidets, toilettes et baignoires soutenus par des pieds en forme de pattes d’oiseau dorées, sofas géants… Les Ukrainiens ont fait la queue pendant plusieurs jours pour visiter le palais de leur président Viktor Ianoukovitch, chassé du pouvoir le 22 février dernier. Avec leur téléphone portable, ils ont immortalisé le luxe écoeurant dans lequel se vautraient le dictateur, sa famille, ses courtisans, alors que son peuple croupissait dans la misère.

Le président, qui voyait grand, avait même fait construire un galion, réplique d’un de ces voiliers mythiques qui sillonnaient les mers au 16e siècle, pour l’amarrer dans le canal construit au cœur de la propriété. Mi-amusés, mi-furieux, les Ukrainiens ont pris la pose devant les dorures des fausses colonnes grecques, ou à côté des animaux exotiques du zoo privé de l’ex-propriétaire.

Ces scènes rappellent d’autres scénarios quasiment identiques. Rappelez-vous de la stupeur des miliciens armés et de la population libyenne lorsqu’ils pénétrèrent dans les palais de Kadhafi, avec ses piscines intérieures, le canapé doré en forme de sirène à l’effigie d’Aïcha, la fille chérie du roi des rois d’Afrique. Pareil pour les palais du président Ben Ali, d’un luxe inouï ;  ou encore ceux de Saddam Hussein, investis par des soldats américains,  à peine sortis de leur brousse étasunienne, et qui se retrouvaient à prendre la pose dans des palais des Mille et une Nuits.

Ce qui frappe dans tous ces palais, y compris ceux des dictateurs roumain Ceaucescu, centrafricain Jean-Bedel Bokassa, zaïrois Mobutu Sese Seko, ou philippin Ferdinand Marcos, c’est la persistance d’un style de décoration tape-à-l’œil, bling-bling, plein de dorures, de marbre et de clinquants, marqué par un saisissant décalage historique et géographique, les styles napoléonien, Louis XIV "à laVersaille" mais aussi Grèce antique se mélangeant allègrement.  Ce style relève le plus souvent du kitsch et du mauvais goût le plus outrancier – même s’il est bien entendu que ce qui peut apparaître à certains comme le comble du kitsch peut représenter ailleurs le summum du chic.  

Impressionnant également de constater à quel point l’architecture des régimes totalitaires, sous toutes les latitudes, est souvent monumentale et d’inspiration classique, comme si elle visait à impressionner les masses. Y compris par l’érection de statues colossales à l’effigie du guide suprême, destinées à tenir le peuple en respect. Les statues sont d’ailleurs souvent les premiers symboles auxquels les foules en colère s’attaquent, pour les détruire; en même temps que s’organisent les pillages des dorures, carrelages, portes, meubles, vaisselle, baignoires… Comme après le passage de criquets-pèlerin,  il ne reste souvent plus grand-chose dans les châteaux après le passage des gueux qui prennent leur revanche sur l’Histoire, le temps qu’un nouveau monarque s’installe. 

A chaque nouveau pillage de palais présidentiel, je repense au palais de l’empereur Jean-Bedel Bokassa à Berengo, en Centrafrique, que j’avais eu l’honneur de visiter quelques années après son renversement. Dans la chambre nuptiale dévastée trônait encore, renversé, un lit rond à moteur, recouvert de lambeaux de velours rouge. Dans les jardins gisaient des statues en bronze de l’empereur, encore à moitié dans leur emballage d’origine, qui n’avaient pas eu le temps d’être dressées à un carrefour de Bangui. De quoi se convaincre, s’il en était besoin,  de la relativité de toute chose ici-bas.

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