27/01/2014
Des rues de Kinshasa au tapis rouge d'Hollywood : l'incroyable destin de Rachel Mwanza
Depuis quelques semaines, on ne voit et on n’entend plus qu’elle sur les plateaux des plus prestigieuses émissions de la télévision française, sur les ondes de toutes les radios.
Elle, c’est Rachel Mwanza, une jeune fille congolaise de 17 ans, qui égrène d’une voix d’une douceur infinie le parcours hallucinant qui est le sien : son destin qui se brise lorsque son père abandonne sa mère et ses cinq frères et sœurs ; sa maman, totalement perdue, démunie, qui perd pied et se tourne alors vers un prédicateur affairiste qui prétend qu’elle est une sorcière. Après des séances d’exorcisme, qui s’apparentent à des séances de torture, Rachel Mwanza, qui n’a que 9 ans est jetée à la rue.
Elle rejoint alors ces milliers d’enfants, qu’on appelle les « shégués » à Kinshasa, qui tentent de survivre dans la rue, proies faciles de toutes sortes de « prédateurs ». « Des enfants de 6 ans, voire 3 ans, se font violer par de vieux messieurs, de vieux voyous », raconte Rachel Mwanza de sa voix enfantine. Elle sera elle-même victime de viol par un homme âgé, qui prétendait l’aider en l’hébergeant, alors qu’elle grelottait sous la pluie.
Mais après quatre ans d’enfer, le destin de la petite fille bascule. Elle rencontre une équipe de tournage belge qui réalise un reportage sur les enfants des rues, lequel deviendra un film. « Kinshasa Kids » raconte l’histoire de huit enfants vivant dans la rue, dorment sur les toits entassés les uns sur les autres, mangent quand ils peuvent, et décident de monter un groupe de musique dirigée par Bebson, un rappeur halluciné qui se promeut manager.
Dans ce film, Rachel, véritable graine de star, crève l’écran. C’est comme cela que le réalisateur canadien Kim Nguyen la remarque, et lui confie le rôle principal dans son film « Rebelle », inspiré de faits réels. Ce long-métrage met en scène une adolescente de 14 ans, Komona, qui raconte à l’enfant qu’elle attend son passé d’enfant soldate. «Ecoute bien quand je te raconte mon histoire, parce que c’est important que tu comprennes », dit-elle à son futur bébé.
Ce rôle a valu à Rachel l’Ours d’Argent de la meilleure actrice au prestigieux Festival du film de Berlin. Et lui a permis de fouler le tapis rouge de l’édition 2013 de la cérémonie des Oscar à Hollywood, où le film était nominé sur la liste des meilleurs films en langue étrangère.
Incroyable destin. Mais Rachel Mwanza n’oublie rien. Dès qu’on lui tend un micro, elle revient sur la vie dans la rue qui fut la sienne, et qui est toujours celle des milliers d’autres enfants. Elle raconte aussi son parcours dans un livre qui vient de paraître, intitulé « Survivre pour voir ce jour », en collaboration avec le journaliste d’origine congolaise Mbépongo Dédy Bilamba.
Elle dénonce l’enfer dans lequel sont plongés les enfants accusés d’être des sorciers par des escrocs qui cherchent avant tout à soutirer de l’argent à des familles que la misère et le malheur ont plongé dans un tel désarroi, qu’elles sont prêtes à sacrifier leurs propres enfants. Dans un rapport publié par l’Unicef en juillet 2010, intitulé « Afrique : le martyre des « enfants sorciers » plusieurs petites victimes ont raconté les traitements « spirituels » que leur avaient avait infligés des soit-disant «pasteurs » après leur avoir extorqué des « confessions » : privation de nourriture pendant des jours, corps brûlés avec des bougies, potions ingurgitées ou versées dans les yeux… La liste des horreurs est sans fin.
Aujourd’hui, Rachel Mwanza vit au Canada ; elle est en train de réaliser un rêve, celui d’aller à l’école, qu’elle avait dû abandonner très tôt ; et devenir une « actrice professionnelle ». Elle vit le bonheur d’être enfin traitée comme un être humain.
Sur recommandation de Yamina Benguigui, ministre française de la Francophonie, émue par sa formidable trajectoire, elle va continuer à apporter son témoignage sur le calvaire des « enfants-sorciers », en tant que future ambassadrice de bonne volonté à l’Unesco.
21:17 | Tags : rachel mwanza, kinshasa, enfants sorciers | Lien permanent | Commentaires (0)
15/01/2014
Privilégier l'agrobusiness ou les petites exploitations familiales ?
2014 a été proclamée « Année internationale de l’agriculture familiale » par les Nations Unies. But de l’opération : mettre en lumière une réalité souvent méconnue, à savoir que ce sont précisément ces petites exploitations agricoles familiales qui nourrissent l’humanité en fournissant 70% des aliments qui sont consommés. Elles aussi qui sont les premiers employeurs au niveau mondial, ainsi que les garantes de l’immense diversité des agricultures de la planète.
Face à une telle réalité, pourquoi ces exploitations agricoles familiales sont-elles si maltraitées, marginalisées, si peu soutenues, au point qu’elles disparaissent par milliers, générant à chaque fois de véritables drames humains, pouvant aller jusqu’au suicide ? C’est dire si cette Année internationale de l’agriculture familiale décrétée par les Nations Unies est importante. Durant toute l’année 2014, en Suisse, comme ailleurs, des actions et des campagnes sont prévues, qui vont rappeler aux sphères politiques et au public que ce sont les petits producteurs qui nourrissent le monde, et non pas l’agrobusiness.
Il fut pourtant une époque où les Etats africains soutenaient leurs paysans. Puis vint le temps du surendettement, de la mise sous tutelle par le FMI et la Banque mondiale, avec la fin des encadrements, des appuis aux producteurs, aux éleveurs, pour soit-disant laisser jouer le marché et la concurrence. Résultat des courses : une agriculture nationale déstructurée, des paysans privés de tout appui, victimes de la concurrence déloyales des produits issus des agricultures européennes et américaines largement subventionnées, qui sont allés grossir les rangs des miséreux qui croupissent dans les villes, à la recherche d’un emploi.
En 2008, dans le contexte d’ « émeutes de la faim » qui enflammèrent plusieurs pays, la Banque mondiale reconnut pour la première fois, dans son rapport annuel, qu’elle avait s’était trompée en exigeant des pays africains l’arrêt de tout appui à leur agriculture. Incroyable ! Des dégâts incommensurables commis au nom d’une idéologie ultra-libérale, et personne pour rendre des comptes.
Le plus sidérant, c’est que les choses n’ont guère changé. Les nombreux appels à investir dans l’agriculture africaine ne concernent pas ces millions de petits producteurs, d’exploitations familiales, qui en sont la colonne vertébrale. Non. Ils favorisent avant tout les intérêts des grandes sociétés agroalimentaires, des multinationales agrochimiques qui se partagent le marché des semences, des pesticides et des engrais. Et ouvrent toutes grandes les portes du continent à l’agrobusiness.
La Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition, lancée en 2012 lors du sommet du G8, illustre parfaitement cette tendance. Lors de sa création, cette initiative annonçait la mise à disposition de 3 milliards de dollars d’investissements agricoles, provenant avant tout de multinationales. Les pays africains concernés sont désormais au nombre de dix : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ethiopie, Ghana, Malawi, Mozambique, Nigeria, Tanzanie et Sénégal, ainsi que plus de 100 entreprises.
Un rapport publié en septembre 2013 par l’ONG internationale Oxfam, intitulé « Nouvelle Alliance, un nouveau cap requis » est cependant accablant. On y apprend en effet que les réformes politiques que ces pays se sont engagés à mener – révision des lois foncières, politique des semences, levée des barrières fiscales - crée davantage un environnement favorable pour le secteur privé et les investisseurs étrangers plutôt qu’un soutien aux petits producteurs nationaux, qui n’ont guère été consultés. Avec, à la clé, une production agricole industrielle qui pénalise encore davantage ces derniers. C’est pourquoi Oxfam recommande vivement aux pays membres de cette Nouvelle Alliance de réévaluer l’ensemble des réformes politiques prévues ou déjà engagées, afin de déterminer leur impact sur les petits producteurs, tout particulièrement concernant leur accès aux terres et aux semences. (publié dans le Courrier (Genève) et Fraternité Matin (Abidjan)
02/01/2014
Cyber-escrocs : bonne année l'argent !
Dans les boîtes de nuit et les maquis d’Abidjan, les cyber-escrocs – qu’on appelle « brouteurs » en Côte d’Ivoire - ont profité des fêtes de fin d’année pour parader, étaler leurs signes extérieurs de richesses. Et montrer aux autres que leur année fut bonne, qu’ils ont bien escroqué. Ceux dont on aperçoit la photo sur les réseaux sociaux, couchés sur des matelas de billets de 10'000 Fcfa, sont de sortie, font valser des liasses pour épater la galerie, prêts à dépenser des sommes colossales pour la soirée du Réveillon.
Je pensais à eux l’autre jour en lisant, dans le quotidien suisse Le Matin, le récit de « l’arnaque au sentiment » dont s’est retrouvée victime une veuve de 73 ans. Pour trouver un peu de compagnie et de chaleur humaine, elle se rend sur un site de rencontres, où un Monsieur originaire de Côte d’Ivoire se montre très gentil avec elle ; avant de commencer à lui demander de l’argent à répétition. Jusqu’à ce que la dame se rende compte qu’il y avait un problème, la photo de l’homme sur un lit d’hôpital – dont elle devait payer les frais d’hospitalisation – ne ressemblant pas aux photos qu’elle avait déjà reçues. Du coup, elle cesse tout contact. Avant de retomber sur un autre escroc, qui lui propose de l’aider à récupérer son argent, moyennant… finance. Dans cette double mésaventure, la vieille dame a perdu non seulement toutes ses économies, mais également son honneur. Elle a honte et s’en veut beaucoup : « Il n’y a que moi pour être aussi c…», a-t-elle déclaré au journaliste qui l’interrogeait.
Dans les médias français, suisses, belges, on lit régulièrement les témoignages d’hommes et de femmes qui ont été victimes de toute une gamme d’arnaques : à l’héritage, à des transferts de gains imaginaires ; ou encore « à la romance » ou « aux sentiments ». L’année dernière, des inspecteurs de la police de sûreté du canton de Vaud, en Suisse, se sont rendus à Abidjan pour enquêter, après que de nombreuses personnes aient déposé plainte pour chantage : elles avaient été filmées dans des situations compromettantes devant leur webcam, et si elles ne payaient pas, elles risquaient de se retrouver sur YouTube ou facebook.
Dans tous ces scenarios, je ne sais pas ce qui est le plus pathétique : la solitude et la déglingue d’Européens qui se font bêtement plumer et font n’importe quoi devant une webcam. Ou ces jeunes brouteurs qui ont quitté les bancs de l’école pour se lancer dans l’escroquerie professionnelle, revendiquent la légitimité de faire payer aux Européens « une dette coloniale », tout en s’acquittant au passage, sur les conseils de leurs féticheurs, de quelques sacrifices humains, pour garantir leurs revenus.
Reste que l’e-réputation (qu’on appelle aussi cyber-réputation ou réputation numérique) de la Côte d’Ivoire est aujourd’hui déplorable, ternie par les activités de ces milliers de jeunes qui ont fait de l’escroquerie sur internet leur gagne-pain. Auparavant, c’était pourtant le domaine d’excellence des Nigérians qui arrosaient les boîtes mails du monde entier de leurs arnaques. Mais c’est désormais la Côte d’Ivoire qui leur a ravi la première place sur le podium. Cette réalité jette le discrédit sur les opérateurs économiques ivoiriens honnêtes, lesquels voient leurs comptes en ligne bloqués dès la moindre erreur de manipulation. Cela plombe également les initiatives du gouvernement pour attirer des entreprises et la création de start-up actives dans le secteur des nouvelles technologies, et qui pourraient précisément créer des jobs pour les jeunes Ivoiriens.
Mais pour empêcher l’émergence d’une nouvelle génération de cyber-criminels, la répression menée par une « brigade anti-broutage » ne suffit pas. Il s’agit également de sensibiliser élèves et étudiants au fait que la cyber-escroquerie est une voie sans issue, et que les talents qu’ils déploient pour arnaquer les « Blancs » pourraient être valorisés dans un autre contexte, qui leur permettrait de gagner leur vie tout aussi bien. Et qui plus est honnêtement.
(Publié dans le quotidien Fraternité Matin, Abidjan, le 28.12.2013)
13:07 | Tags : cyber-escrocs, brouteurs, dette coloniale | Lien permanent | Commentaires (0)