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02/01/2014

Cyber-escrocs : bonne année l'argent !

Dans les boîtes de nuit et les maquis d’Abidjan, les cyber-escrocs – qu’on appelle « brouteurs » en Côte d’Ivoire - ont profité des fêtes de fin d’année pour parader, étaler leurs signes extérieurs de richesses. Et montrer aux autres que leur année fut bonne, qu’ils ont bien escroqué. Ceux dont on aperçoit la photo sur les réseaux sociaux, couchés sur des matelas de billets de 10'000 Fcfa, sont de sortie, font valser des liasses pour épater la galerie, prêts à dépenser des sommes colossales pour la soirée du Réveillon.

Je pensais à eux l’autre jour en lisant, dans le quotidien suisse Le Matin, le récit de « l’arnaque au sentiment » dont s’est retrouvée victime une veuve de 73 ans. Pour trouver un peu de compagnie et de chaleur humaine, elle se rend sur un site de rencontres, où un Monsieur originaire de Côte d’Ivoire se montre très gentil avec elle ; avant de commencer à lui demander de l’argent à répétition. Jusqu’à ce que la dame se rende compte qu’il y avait un problème, la photo de l’homme sur un lit d’hôpital – dont elle devait payer les frais d’hospitalisation – ne ressemblant pas aux photos qu’elle avait déjà reçues. Du coup, elle cesse tout contact. Avant de retomber sur un autre escroc, qui lui propose de l’aider à récupérer son argent, moyennant… finance. Dans cette double mésaventure, la vieille dame a perdu non seulement toutes ses économies, mais également son honneur. Elle a honte et s’en veut beaucoup : « Il n’y a que moi pour être aussi c…», a-t-elle déclaré au journaliste qui l’interrogeait.

Dans les médias français, suisses, belges, on lit régulièrement les témoignages d’hommes et de femmes qui ont été victimes de toute une gamme d’arnaques : à l’héritage, à des transferts de gains imaginaires ; ou encore « à la romance » ou « aux sentiments ». L’année dernière, des inspecteurs de la police de sûreté du canton de Vaud, en Suisse, se sont rendus à Abidjan pour enquêter, après que de nombreuses personnes aient déposé plainte pour chantage : elles avaient été filmées dans des situations compromettantes devant leur webcam, et si elles ne payaient pas, elles risquaient de se retrouver sur YouTube ou facebook.

Dans tous ces scenarios, je ne sais pas ce qui est le plus pathétique : la solitude et la déglingue d’Européens qui se font bêtement plumer et font n’importe quoi devant une webcam. Ou ces jeunes brouteurs qui ont quitté les bancs de l’école pour se lancer dans l’escroquerie professionnelle, revendiquent la légitimité de faire payer aux Européens « une dette coloniale », tout en s’acquittant au passage, sur les conseils de leurs féticheurs, de quelques sacrifices humains, pour garantir leurs revenus.

Reste que l’e-réputation (qu’on appelle aussi cyber-réputation ou réputation numérique) de la Côte d’Ivoire est aujourd’hui déplorable, ternie par les activités de ces milliers de jeunes qui ont fait de l’escroquerie sur internet leur gagne-pain. Auparavant, c’était pourtant le domaine d’excellence des Nigérians qui arrosaient les boîtes mails du monde entier de leurs arnaques. Mais c’est désormais la Côte d’Ivoire qui leur a ravi la première place sur le podium. Cette réalité jette le discrédit sur les opérateurs économiques ivoiriens honnêtes, lesquels voient leurs comptes en ligne bloqués dès la moindre erreur de manipulation. Cela plombe également les initiatives du gouvernement pour attirer des entreprises et la création de start-up actives dans le secteur des nouvelles technologies, et qui pourraient précisément créer des jobs pour les jeunes Ivoiriens.

Mais pour empêcher l’émergence d’une nouvelle génération de cyber-criminels, la répression menée par une « brigade anti-broutage » ne suffit pas. Il s’agit également de sensibiliser élèves et étudiants au fait que la cyber-escroquerie est une voie sans issue, et que les talents qu’ils déploient pour arnaquer les « Blancs » pourraient être valorisés dans un autre contexte, qui leur permettrait de gagner leur vie tout aussi bien. Et qui plus est honnêtement.

(Publié dans le quotidien Fraternité Matin, Abidjan, le 28.12.2013)