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19/10/2012

Dans le film "Viva Riva", c'est Kinshasa qui crève l'écran

Par Catherine Morand, journaliste

 

Pendant longtemps, les cinéphiles africains durent se contenter de regarder des films de gangsters ou des séries policières tournées aux USA, en Europe ou en Asie, comme si c’est là-bas seulement que des malfrats sévissaient. Paradoxe : alors que chaque jour, les médias nationaux rendaient compte des actions d’éclat de bandits chevronnés, de règlements de compte entre trafiquants, sur les écrans des cinémas -  lorsqu’il y avait encore des salles -  étaient projetés des films racontant la vie au village, donnant à voir l’image d’une Afrique immuable et traditionnelle, un peu ennuyeuse, mais qui plaît tellement aux Occidentaux.

 

C’est justement pour plaire aux bailleurs de fonds et obtenir des financements pour leurs films que les cinéastes, surtout en Afrique francophone, ont souvent tourné des images qui ne plaisaient guère à un public urbain, vivant à 100 à l’heure dans des mégalopoles trépidantes. Mais que les Blancs adoraient aller voir dans les festivals. Ils y retrouvaient l’Afrique éternelle qui peuple leur inconscient, avec ses cases en toit de chaume, ses animaux majestueux, ses valeureux habitants en habits traditionnels, et des canaris en terre un peu partout…

 

Rien de tout cela dans le film « Viva Riva » du cinéaste congolais Djo Munga, qui a déboulé sur les écrans telle une météorite, et qui remporte partout un succès phénoménal. C’est l’histoire d’un voyou, Riva, au charme irrésistible, qui revient à Kinshasa les poches pleines de dollars, à bord d’un camion volé, bourré de carburant, qu’il compte bien revendre au prix fort dans cette mégalopole qui en manque cruellement. C’était compter sans un gang d’Angolais cruels et déterminés, qui mettront la ville sans dessus dessous jusqu’à ce qu’ils retrouvent le jeune dandy, qui, dans la nuit moite de Kin, brûle sa vie par les deux bouts, les femmes, l’argent, le sexe, tandis que la Skol et la Primus coulent à flot.

 

Mais le véritable héros du film, qui crève l’écran, le personnage principal, c’est Kinshasa, filmée avec amour, comme elle ne l’a jamais été, par un Djo Munga très inspiré, attaché à cette ville qui l’a vu naître, aujourd’hui meurtrie, bouillonnante, qu’on sent pulser avec l’énergie du désespoir, mais avec aussi ce grain de folie qui séduit tant. Une caméra comme hallucinée s’arrête sur ses façades lépreuses, plonge dans la faune interlope des boîtes de nuit, s’arrête sur la beauté d’une femme, majestueuse, dont Riva s’éprend – l’actrice franco-ivoirienne Manie Malone, éblouissante – replonge dans la saleté repoussante d’un commissariat, les bordels où travaillent des créatures enduites de kaolin, pour finir en course poursuite à bord de limousines, sur fond de crépitement d’armes à feu.

 

Le spectateur, ravi, en redemande. Le film fait un tabac partout où il est projeté. L’acteur principal qui incarne Riva, le chanteur de R’n’B congolais Pasha Bay Mkuna, racontait dernièrement lors de la présentation de son film qu’en l’absence de salles de cinéma dignes de ce nom, tous les Kinois avaient téléchargé « Viva Riva » sur leur clé USB. Tout en insistant pour dire à quel point une mégalopole comme Kinshasa est le cadre parfait pour tourner un thriller, sans même avoir à le compléter avec des décors factices, puisque tout y est…

 

On est loin de l’Afrique immuable et de la vie au village. Et les cinéphiles se réjouissent de cette tendance lourde. Le réalisateur burkinabé Boubakar Diallo tourne par exemple régulièrement des films à succès, qui ont pour nom Traque à Ouaga, Sam le Caïd, qui ne laissent aucun doute sur la trame de leur scénario. Mais souvenez-vous : déjà en 1988, l’Ivoirien Sidiki Babaka avait réalisé Les Guérisseurs, un thriller urbain qui avait pour cadre Abidjan, dans lequel il mettait en scène des malfrats sans foi ni loi qui s’affrontait à coups de millions de francs CFA. Un précurseur, en quelque sorte. (publié dans le quotidien Fraternité Matin, Abidjan, le 19.10.2012)