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16/08/2012

Kinshasa, ville miroir de notre futur ?

De loin, Kinshasa a un côté terrifiant. Pensez donc, une ville qui a poussé à tire-larigot, de manière totalement anarchique, dont le nombre estimé d’habitants oscille entre 7 et 10 millions. On aurait presque peur d’y mettre un pied, craignant de se faire dépouiller illico presto, dans un contexte d’«Etat néant» généralisé. Pourtant, au bas de l’immeuble où j’ai passé quelques jours la semaine dernière, en plein centre-ville, dans le quartier de la Gombe, j’ai assisté à des scènes de la vie quotidienne très éloignées de cette vision d’une mégalopole apocalyptique. Juste la vie avec ses enfants qui vont à l’école catholique voisine, qu’on entend compter et chanter, des petits métiers qui arpentent les quartiers en proposant leurs services à la criée, des pousse-pousseurs qui crapahutent sur les routes en terre en tirant leur chargement.

Reste que Kinshasa a un côté fascinant. Imaginez un peu: des millions de personnes qui inventent leur vie chaque jour, pas de jobs, des petits boulots auto-créés à l’infini, dans un environnement urbain improbable, le système D devenu la norme. Des transports publics chaotiques et laissés à l’abandon, des gens qui marchent des kilomètres pour aller travailler, des routes défoncées en terre battue même au centre-ville; des quartiers entiers privés d’électricité pendant des semaines – adieu frigos, congélateurs, fers à repasser, bonjour le retour au fer à charbon. Les services publics ont disparu de la circulation, tout se paie: l’école, les soins de santé, c’est marche ou crève, sans filets, sans assurances sociales.

Au fur et à mesure qu’on évolue dans cette mégalopole pour en prendre le pouls, on ne peut s’empêcher toutefois de faire des parallèles avec la situation qui prévaut ailleurs, sous d’autres cieux, traumatisés par la crise financière et le durcissement social qui ne finit pas de s’ensuivre. Et si, au bout du compte, Kinshasa n’était que la ville miroir de notre futur? Une sorte d’exacerbation ultime de tendances qu’on peut percevoir avec plus ou moins d’acuité partout ailleurs dans le monde?
Ce qui frappe dans la topographie de la ville, ce sont les extrêmes. Des quartiers entiers formés de bicoques, trois tôles deux planches, où vivent des familles entières. Des «parcelles» surpeuplées. Et à côté, des immeubles et des villas de luxe, des quartiers privatisés et gardés par des vigiles, dans lesquels on ne pénètre pas sans avoir montré patte blanche, où cohabitent, avec leurs 4x4, les expatriés, les richissimes Congolais proches du pouvoir, les représentants d’organisations internationales qui font flamber le prix de l’immobilier. Avec la crise financière et la tendance lourde résumée par «les riches toujours plus riches, les pauvres toujours plus pauvres», cette configuration prend de l’ampleur sur tous les continents.

A Kinshasa, on voit aussi des gens cultiver leur manioc avec beaucoup de soin. Chaque matin, je me faisais réveiller par le chant du coq. Une impression de vie au village, même en plein centre-ville, qui accrédite la thèse d’une «mégalopole en voie de ruralisation». Avec la crise, dans les grandes villes américaines et européennes, un nombre croissant de citadins cultivent désormais eux aussi leur petit jardin, avec quelques poules en sus, histoire d’améliorer l’ordinaire.
Kinshasa incarne à l’extrême la (sur)vie dans un contexte où la répartition des richesses – immenses pour ce qui concerne le Congo – est totalement délirante, entre ceux qui se gavent et ceux qui crèvent la bouche ouverte. Une ville miraculée, habitée par des gens qui font preuve d’un courage et d’une dignité qui forcent l’admiration. Une mégalopole qu’on aurait tort de considérer comme une exception. Mais bel et bien comme le miroir de notre propre futur.

18/04/2009

Expert ès système D

Est-ce bien raisonnable ?

 

Par Catherine Morand,  journaliste - le 19 avril 2009 - Le Matin Dimanche

 

Expert ès système D

 

Aux Etats-Unis, les signes apparents de la crise se multiplient, et la panique s’installe. Des magasins ferment les uns après les autres, les sociétés licencient à tour de bras. Les plus chanceux cumulent plusieurs petits jobs, pour tenter de garder la tête hors de l’eau. Le rêve américain dort désormais sous tente, dans des « tent cities » installées sur des terrains vague, ou dans des motels bon marché, le long des autoroutes. C’est le dernier refuge d’une classe moyenne qui a tout perdu : maison, job et l’assurance-maladie qui va avec. Des enfants qui, il y a peu, vivaient en zone résidentielle, font désormais leurs devoirs dehors, sur les trottoirs.

 

La crise, qui a gagné l’Europe, semble bien installée. Les pays occidentaux sont-ils en voie de tiers-mondisation ? C’est la question que je me suis posée l’autre jour à un feu rouge, lorsque deux jeunes ont surgi pour laver mon pare-brise. Une scène inhabituelle ici, mais qui, sous d’autres cieux, fait depuis longtemps partie du quotidien. Visiblement, nous allons devoir nous adapter à un contexte qui est nouveau pour nous. Dès lors, ne serait-il pas raisonnable de faire appel à des experts qui viendraient nous apprendre à (sur)vivre en temps de crise ?

 

Ces experts de haut niveau, on peut les trouver à Madagascar, en Bolivie ou en Indonésie, des pays qui, en matière de galère, ont bien une vingtaine d’années d’avance sur nous. A bord de puissants 4x4, ils pourraient venir sillonner nos bourgades les plus reculées pour nous enseigner les ficelles du système D, « D » comme débrouille. Un art de vivre qu’ils maîtrisent à la perfection.

 

Il n’y a plus de travail ? Les banques ne font plus crédit ? Pas de problème. Nos conseillers ès débrouillardise nous apprendront à nous inventer comme eux un petit boulot et nous familiariseront avec toute la gamme des petits métiers qui permettent de survivre en temps de crise. S’ils acceptent de nous initier, nous pourrions aussi nous mettre aux tontines, qui regroupent des personnes qui mettent leur épargne en commun, avec tournus de pécule bienvenu à la clé.

 

Grâce à leurs conseils, et si nous nous donnons de la peine, nous devrions pouvoir nous aussi nous en sortir. Déjà, aux Etats-Unis, il est à nouveau permis d’élever des poules, même en pleine ville. Cultiver son potager est devenu terriblement trendy depuis que la Première Dame a manié la binette dans les jardins de la Maison Blanche. En France, la création d’auto-entreprises, dans laquelle on s’emploie soi-même, connaît un succès spectaculaire. Le troc et la co-location ont le vent en poupe. L’imagination est de retour. Vive la crise !