09/09/2013
Sous les monuments, les fétiches ?
Par Catherine Morand, journaliste
Dans les capitales africaines, comme ailleurs dans le monde, les présidents cherchent parfois à laisser une marque pour la postérité, en érigeant des monuments destinés à embellir le paysage urbain. Mais les choses, parfois, se compliquent. La croyance populaire estime en effet que, souvent, statues et monuments sont truffés de fétiches destinés à pérenniser le pouvoir en place. Du coup, lors d’un changement de régime, les statues sont détruites, pour neutraliser le pouvoir mystique qu’elles sont censées abriter.
C’est ce qui s’est passé à Abidjan, en Côte d’Ivoire, où la quasi-totalité des statues et autres monuments bâtis au cours des dix ans de la présidence de Laurent Gbagbo ont été détruits dans la foulée de son arrestation. A coup de pelles et de pioches, appuyés par des engins de démolition, des hommes en uniforme militaire, ainsi que des partisans du nouveau président, se sont acharnés sur des monuments parfois très réussis, sous l’œil attentif des curieux, qui filmaient la scène avec leur téléphone portable, guettant les fétiches et autres ossements humains que le président déchu était censé avoir fait enterrer pour pérenniser son pouvoir.
Des scénarios identiques se sont déroulés dans d’autre pays, comme par exemple au Congo Brazzaville, où les partisans du président Pascal Lissouba avaient détruit les statues érigées par son prédécesseur Denis Sassou N’Guesso, accusé d’y avoir enterré des fétiches. Tandis qu’en République centrafricaine, Ange-Félix Patassé fut à son tour accusé d’avoir enfoui du matériel mystique et même des êtres humains sous certains monuments, que son successeur François Bozizé s’empressa de détruire…
L’érection de monuments et de statues s’accompagne en tout cas régulièrement de polémiques. C’est ainsi que lors de l’inauguration de la statue du héros de l’indépendance du Burundi Louis Rwagasore, les habitants de la capitale Bujumbura ont piqué une grosse colère, tant l’œuvre ne lui ressemblait pas du tout. Sa réalisation avait été confiée à des Chinois, ce qui expliquerait qu’il ressemblait à un asiatique. Face à la critique, le buste était demeuré recouvert d’un tissu pendant plusieurs mois, avant d’être carrément enlevé.
Mais le mois dernier, soulagement général : le Burundi a pu fêter le 51e anniversaire de son indépendance le 1er juillet 2013 avec une nouvelle statue, bien ressemblante au héros de l’indépendance, assassiné à l’âge de 29 ans, réalisée par un élève d’une école d’art du pays. Du coup, un débat national a été lancé : vaut-il mieux recourir au talent d’artistes nationaux ou étrangers pour la réalisation de statues et de monuments ? Si on fait appel à des artistes chinois ou nord-coréen, à quoi servent alors les artistes du pays ? Une polémique qui rappelle celle qui avait enflammé le Sénégal lors de l’inauguration du Monument de la Renaissance africaine, voulue par l’ex-président Abdoulaye Wade.
Dans un pays qui connaît des sculpteurs au talent exceptionnel tel Ousmane Sow, le fait que ce monument de plus de 50 mètres de hauteur ait été réalisée par une société nord-coréenne, sur la base d’un projet conçu par un sculpteur d’origine roumaine, en a scandalisé plus d’un. Le monument au style jugé trop stalinien, pas assez africain, mettant en scène une famille dévêtue, avait d’ailleurs été déclaré contraire à l’islam par une trentaine d’imams au Sénégal.
Le maître d’œuvre du Monument de la Renaissance africaine de Dakar est la société de travaux publics nord-coréenne Mansudae Overseas Projects, spécialisée dans des réalisations pharaoniques sur le continent africain. C’est elle qui a également réalisé la gigantesque statue du roi Béhanzin à Abomey au Bénin, celle du président Laurent-Désiré Kabila en République démocratique du Congo, ou encore le monument du Soldat inconnu à Windhoek en Namibie. Visiblement, le style massif et imposant mis au goût du jour par les dictatures nord-coréenne et soviétique continue à être prisé. (publié dans le quotidien Le Courrier, Genève, le 30.8.2013 et sur le site d'Infosud - Tribune des droits humains, Genève)
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