Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/10/2013

La ruée sur les terres tourne au drame planétaire

Par Catherine Morand, journaliste

L’accaparement des terres prend des proportions apocalyptiques en Asie, en Amérique latine, et tout particulièrement sur le continent africain. C’est la petite agriculture paysanne et familiale qui est en train d’être laminée. Avec, à la clé, des millions de petits paysans dépossédés de la terre qui les fait vivre depuis des temps immémoriaux.

Des hommes d’affaires européens, nord et latino-américains ou arabes, des représentants de pays dits émergents comme la Chine, l’Inde, les Etats du Golfe ou la Corée du Sud, en quête d’investissements qui rapportent vite et gros, sillonnent les quatre continents pour trouver des terres à acheter ou à louer. Pour y cultiver des agrocarburants ou des produits agricoles destinés à alimenter le marché mondial.

Le mouvement s’accélère à une vitesse sans précédent. Depuis une dizaine d’années, ce sont plus de 85 millions d’hectares de terres qui ont été louées ou achetées dans les pays du Sud, plus de 20 fois la surface de la Suisse.  Sur le continent africain tout particulièrement, c’est la ruée d’investisseurs qui profitent de la faiblesse des pouvoirs en place et des failles du droit foncier. Au Mozambique, un consortium Brésil-Japon s’est vu attribuer 90 000 km2, pour y produire du maïs et du soja destinés à l’exportation, alors que le pays connaît régulièrement des pénuries alimentaires. Au Burkina Faso, 700 investisseurs nationaux et internationaux sont en compétition pour acquérir 18 000 hectares de terre, dans le cadre d’un projet agro-industriel soutenu par la Banque mondiale.

Pour convaincre les autorités, les chefs coutumiers, les paysans eux-mêmes, ce sont toujours les mêmes promesses : la création d’emplois pour les jeunes, la garantie de meilleurs rendements, des investissements agricoles massifs pour sortir des régions de la pauvreté, la mise en valeur de terres agricoles « non exploitées ». La réalité est cependant bien différente puisqu’on assiste à la dépossession et à l’expulsion de paysans de leurs terres, à l’arrivée massive de l’agrobusiness qui lamine la biodiversité, à l’augmentation de la faim et de la malnutrition.

Sous toutes les latitudes, les témoignages sont identiques : les paysans racontent leur désespoir de s’être fait arracher leur terre où ils cultivaient de quoi nourrir leur famille, pour céder la place à des cultures de plantes qui seront transformées en agrocarburants. « A cet âge, où moi et ma famille pouvons aller ? Comment pourrai-je désormais nourrir mes enfants ? » témoigne Shaba, un paysan tanzanien qui vient d’apprendre qu’il sera déplacé avec plusieurs centaines d’autres familles. En Tanzanie, quelque 436 000 hectares de terre sont d’ores et déjà consacrés à la production d’agrocarburants. Des organisations de la société civile y apportent un appui aux paysans qui ne disposent pas de titres fonciers sur la terre qu’ils cultivent depuis des siècles, et qu’ils doivent quitter précipitamment lorsque des investisseurs européens, chinois ou saoudiens paient à l’Etat ou aux chefs coutumiers le droit de les exploiter.

Des voix s’élèvent pour dénoncer le rôle très problématique joué par la Banque mondiale, laquelle, sous prétexte d’améliorer la gestion des terres et la « gouvernance financière », pousse de nombreux pays à mener d’urgence des réformes foncières, lesquelles bénéficient avant tout aux investisseurs étrangers désireux d’acheter des terres agricoles « sécurisées ». La Banque mondiale appelle d’ailleurs à investir dans des terres qu’elle qualifie de  « vacantes »  (« marginal land »), pour permettre soit-disant au continent africain de réduire son « écart de rendement » (« yield gap) tout en vantant les rendements faramineux qu’elles génèrent. Or celles-ci font vivre des millions de petits agriculteurs et d’éleveurs, désormais déplacées ou empêchés d’accéder à leurs terres traditionnelles.

Publié dans le quotidien Le Courrier (Genève) le 25 octobre 2103