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18/08/2012

La disneylandisation du monde

Par Catherine Morand, journaliste

C’est la période des vacances. Et question destinations, nous avons le choix : le monde entier, les lieux les plus incroyables sont à portée de main, de clic pourrait-on dire, puisqu’on peut désormais tout réserver, planifier via internet. Y compris le tour à dos d’éléphant en Thaïlande, la danse de guerriers Masaï au Kenya, la montée du Corcovado à Rio, ou encore le concert de cor des Alpes aux Diablerets.   A force de cliquer sur les offres ou de feuilleter les pages des catalogues, on finit cependant par être pris d’une sorte de vertige: et si le monde entier n’était plus qu’un gigantesque parc à thèmes, une sorte de Disneyland à l’échelle planétaire, avec, à la clé, une mise en scène des populations locales, des traditions, des lieux, pour correspondre au mieux à ce que nous rêvons de photographier? Exagéré? Voire. Nous autres petits Suisses avons déjà eu l’occasion de voir à quel point les milliers de Japonais, et désormais de Chinois, d’Indiens qui se ruent sur nos Alpes pendant leurs vacances, veulent absolument ramener chez eux les clichés dont ils rêvent: des chalets proprets garnis de géraniums, des prairies truffées de vaches et d’alpages. Et nous autres les autochtones, nous sommes tolérés sur la photo à condition que nous ressemblions à Heidi sur l’Alpe, à un armailli ou à un lanceur de drapeau. Hé bien ailleurs, c’est pareil. Logique. Vous et moi n’allons pas faire des milliers de kilomètres pour aller photographier des Chinois au McDonald’s, des Sénégalais en costard-cravate ou des Brésiliens dans des supermarchés. Non, ce que nous voulons, c’est de l’au-then-tique. Alors, face à la demande, l’offre n’a cessé de se développer, de s’affiner. Et aujourd’hui, nous y sommes: les autochtones des pays lointains savent désormais ce que nous voulons.

Des exemples? Ils sont légion. Au pays dogon au Mali, notre guide sait parfaitement, sans que nous ayons à le lui rappeler, que nous ne voulons voir ni voiture, ni antenne, ni téléphone portable sur nos petits films; et que les danseurs doivent enlever leur montre avant d’exécuter la danse des masques. Et lorsque nous allons aux Maldives jouer les Robinson Crusoé – le top pour les gros budgets – les indigènes sont les bienvenus pour apporter d’exotiques cocktails sur la terrasse du bungalow; mais qu’ils ne s’avisent pas d’importuner leurs richissimes hôtes, par exemple pour leur vendre des souvenirs.        Ah la la, les souvenirs de vacances, nous en faisons des kilomètres chaque été pour en ramener, des masques authentiques d’Afrique du Sud, des attrape-rêves confectionnés par les Indiens d’Amérique, des boomerangs d’Australie sculptés par les Aborigènes. Las. La quasi-totalité de nos souvenirs sont désormais fabriqués à la chaîne dans les zones économiques spéciales de Shanghai. Même s’ils ne portent pas la fatale étiquette «Made in China». Plutôt que de râler, réjouissons-nous plutôt que tout soit fait pour que nos rêves soient réalisables. Et nos rêves, de plus en plus veulent du sauvage, du non civilisé, de la brousse. Le continent africain qui incarne le paradis perdu est le cadre idéal. Et sa disneylandisation avance à marche forcée. Les parcs naturels d’où les autochtones sont chassés se multiplient, pour laisser place aux animaux somptueux qui habitent notre inconscient. Et si parfois, les indigènes se mettent à danser spontanément sur notre passage, que demander de plus? C’est d’ailleurs tout aussi spontanément que nous faisons jaillir nos caméras et nos iPhones. Pour immortaliser ces moments si inoubliables, que nous en oublierions presque qu’ils ont été fabriqués de toutes pièces, pour ressembler au plus près à ce que nous avions imaginé. Et ce pourquoi nous avons payé. (publié dans le quotidien Le Courrier (Genève)

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