Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/10/2012

Noircir en Espagne, blanchir au Sénégal

Par Catherine Morand, journaliste

Cet été, sur les plages de Barcelone où j’ai passé quelques jours, je n’en suis pas revenue. Malgré toutes les mises en garde, depuis des années, sur les dangers pour la peau d’une trop grande exposition au soleil, cancer compris, j’étais entourée de vacanciers qui, à longueur de journée, se faisaient consciencieusement rôtir et noircir. Après plusieurs heures de chaque côté, les corps étaient brun foncé, les dos incandescents et les visages comme illuminés de l’intérieur.

Peu après, j’ai fait un saut à Dakar, au Sénégal, et à la sortie de l’aéroport, surprise : un immense panneau publicitaire de 12 mètres carrés vante les mérites d’un nouveau produit choc pour dépigmenter la peau, le Khess Petch, qui permet, assure la pub, de troquer son teint noir contre une peau blanche en l’espace de quinze jours. La même photo d’une femme «avant et après» blanchiment est d’ailleurs placardée le long de toutes les grandes artères de la capitale sénégalaise, sur plus d’une centaine de panneaux, qui font la promotion de cette crème éclaircissante.

Juste l’inverse, en quelque sorte, des affiches géantes dans les rues de Barcelone, envahies de promotions pour des lotions miracles qui vous noircissent en quelques jours, ainsi que de mannequins au teint brun foncé, posant pour des maillots H&M. Une pub qui avait d’ailleurs soulevé un tollé, car accusée de promouvoir une trop grande et dangereuse exposition au soleil.

Sur le continent africain, les femmes qui ont recours à toutes sortes de produits plus ou moins efficaces pour se blanchir la peau est une pratique très répandue, appelée khessal au Sénégal, tcha en Côte d’Ivoire, dorot au Niger, tcha-tcho au Mali, ou encore «maquillage» au Congo. Mais, de mémoire de Dakarois, c’est la toute première fois qu’une campagne d’une telle envergure ose présenter un médicament violent, à base de corticoïdes utilisés pour soigner des dermatoses aiguës, des eczéma ou des psoriasis, comme s’il s’agissait d’un simple produit cosmétique, destiné à procurer aux Sénégalaises le teint clair dont elles sont supposées avoir toujours rêvé.

Du coup, les médias locaux, les réseaux sociaux, se sont emparés de l’affaire, et le débat fait rage. Une pétition lancée sur Internet a recueilli plus de 1000 signatures en quatre jours, pour demander à la ministre de la Santé que cette publicité, faisant «l’ode au cancer de la peau» soit retirée des espaces publics. Une page facebook a été créée, qui compte déjà plusieurs milliers de membres.

Les créatifs d’agences de pub s’y sont mis eux aussi et ont lancé une contre-campagne pour vanter la beauté de la femme noire, au teint naturel. Et les affiches pour promouvoir le Khess petch, qui veut dire «toute blanche» en wolof, côtoient désormais dans les rues de Dakar celles où s’inscrit en grand nuul kukk, qui veut dire «très noire».

Dans les débats qui enflamment actuellement le Sénégal, on pointe aussi du doigt la responsabilité des animatrices de télévision, des speakerines, des femmes ministres et autres personnalités de premier plan dans l’engouement pour le blanchiment de la peau, elles qui exhibent fièrement leur teint jaune papaye. Les épouses des présidents sénégalais Senghor et Wade n’étaient-elle d’ailleurs pas blanches et celle d’Abdou Diouf métisse? «C’est comme si le premier canon de beauté au Sénégal était le teint métis ou khessalisé, quelle attitude aliénante et complexée au pays de la teranga», insiste un internaute sénégalais sur son blog.

Sur les plages de Barcelone, comme dans les rues de Dakar, c’est l’image du corps idéalisé par chaque société que nous renvoient ces panneaux publicitaires géants. A Barcelone, les peaux bronzées, les lèvres et les seins siliconés. A Dakar, des femmes aux cheveux lisses, au teint clair, voire carrément blanc, à la Michael Jackson. Mais dans les deux cas, des créatures qui ressemblent à des aliens, un peu inquiétantes, auxquelles ne pas souhaiter ressembler relève quasiment de la résistance. (Publié dans le quotidien Le Courrier, Genève, le 28.9.2012)