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16/05/2010

Embarquement immédiat

 

Par Catherine Morand, journaliste - Le Matin Dimanche - le 16 mai 2010

 

Dans un emploi du temps surchargé, les aéroports peuvent représenter une respiration, un entre-deux atemporel, où l’on peut décompresser, dans une zone hors sol d’où l’on n’est pas encore parti, ni arrivé ailleurs.

 

J’aime beaucoup ces moments hors du temps. On peut faire des loopings avec ses pensées, se vider le cerveau, bloquer son mental sur le mode « ralenti » ; ou alors mettre les gaz à fond, prendre de la hauteur, et scruter le monde entier qui se croise dans cet espace restreint.

 

Vagabondons donc un peu. Aéroport Roissy-Charles de Gaulle – le pire aéroport du monde selon Jacques Attali. Les passagers gagnent la porte d’embarquement, prêts à s’envoler vers un pays d’Afrique de l’Ouest. Et là, tout à coup, sous nos yeux fascinés, porte 24, se dessine un petit concentré de mondialisation.

 

D’un côté sont assis des hommes d’affaires chinois, costumes gris bien coupés, silencieux, comme concentrés. Juste en face d’eux, des Américains travaillant pour une compagnie pétrolière, en jeans, surcharge pondérale qui déborde par-dessus la ceinture, parlent fort. Mais la puissance, désormais, n’est plus de leur côté, et ça se sent.

 

Deux mondes qui n’ont rien en commun se côtoient sans se voir, et résument en une photo glanée au cœur d’un aéroport, la géopolitique ambiante. Avec, pour compléter le tableau deux patrons d’industrie français, très élégants et distingués, mais comme d’un autre âge, désormais révolu, côtoyés par un groupe de Philippins, main d’œuvre itinérante de petite taille, ballottée au gré des besoins des grandes compagnies.

 

Avec l’apparition du nuage de cendres du volcan islandais, cette zone toujours particulière qu’est un aéroport est devenue encore davantage un lieu où on prend la température du monde. On sait quand on y arrive, on ne sait plus quand on le quitte. Les touristes râlent, côtoient des hommes d’affaires et des humanitaires accros à leurs appareils high-tech. Arc-boutés aux comptoirs des compagnies d’aviation, en quête d’infos, c’est l’aventure. Pensez donc : notre hypertechnologie terrassée par de sourdes forces telluriques, par un nuage qui va et qui vient, c’est inimaginable.

 

Des jours entiers à attendre donc, à gloser sur notre dépendance à l’avion, entassés que nous étions aux côtés de milliers de roses à l’aéroport de Nairobi, de tonnes d’asperges à l’aérogare de Lima, de montagnes de tomates à celui de Shanghai. Et si le nuage persistait, revenait, allons-nous manquer de quelque chose ? Et lorsque le pétrole sera tari, que mangerons-nous ? Embarquement immédiat. L’heure de prendre congé. Atchao. Et bonne route.