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08/10/2013

Sauter dans la première pirogue venue...

(Chronique publiée le 15.7.2007 dans les colonnes du Matin Dimanche par Catherine Morand, journaliste, reproduite en lien avec l'actualité de centaines de migrants échoués au large des côtes de l'île de Lampedusa)

Malte, Lampedusa, Lanzarote, Tenerife, les Canaries, mais aussi la Grèce, l'Espagne, l'Italie, la Sicile, autant de destinations dont les noms nous font rêver en cette période de vacances... C'est également sur ces mêmes côtes que, durant tout l'été, des milliers de candidats à l'émigration vont mettre le cap, avec, parfois, à la clé, des images chocs, mêlant jeunes gens à bout de force et vacanciers éberlués.

L'année dernière, quelque 900 pirogues sont venues s'échouer sur les seules plages des îles Canaries, avec plus de 35 000 personnes à bord.

Depuis, la riposte s'est organisée et porte le nom de "Frontex", un dispositif mis en place par l'Union européenne pour surveiller les côtes ouest-africaines et lutter contre l'émigration clandestine. C'est grâce à Frontex que sur les plages du Sénégal, tout aussi paradisiaques d'ailleurs que celles des Canaries, on croise désormais des policiers à bord de quads zigzaguant entre les baigneurs, qui traquent les émigrants potentiels et inspectent toute pirogue suspecte.

Outre les quads, Frontex a également fourni au Sénégal deux vedettes, un hélicoptère et un avion construit spécialement pour la traque des clandestins, équipés de caméras infrarouges, pilotés par des patrouilles mixtes euro-africaines.

Ce dispositif n'empêche guère les candidats à l'immigration de continuer à sauter dans la première pirogue venue. La déferlante se poursuit, à partir d'autres zones, moins surveillées. 

Mais est-ce bien raisonnable de continuer à comptabiliser le nombre de corps retrouvés au large des côtes européennes sans chercher à comprendre pourquoi ces jeunes, dans la force de l'âge, font le choix terrifiant de quitter leur pays dans des conditions dantesques, avec souvent la mort sur leur route, plutôt que de rester chez eux ?

Ceux-ci ne demandent pourtant que de pouvoir travailler et gagner leur vie dans leur pays. Mais cela relève de plus en plus de la mission impossible. Les politiques commerciales et financières qui régissent les échanges mondiaux ne laissent pratiquement aucune chance aux économies africaines. Les campagnes se vident, les villes ne génèrent que peu d'emplois. Chacun doit donc se "débrouiller" pour survivre, livré à lui-même, dans un contexte où les prestations sociales sont quasi inexistantes.

La responsabilité des classes dirigeantes africaines est également écrasante : toujours aussi prédatrices, elles apparaissent avant tout préoccupées par leur propre maintien au pouvoir. Et semblent se soucier comme d'une guigne de leur propre jeunesse.

Iles "Guantanamo" ou "Alcatraz" ?

(Chronique publiée le 22 mars 2009 dans les colonnes du Matin Dimanche par Catherine Morand, journaliste, reproduite en lien avec l'actualité récente du naufrage de centaines de migrants au large des côtes de l'île de Lampedusa.)

Les îles grecques, la Sicile, celles de Lampedusa, Malte ou les Canaries n’ont pas connu de trêve hivernale. Bravant les tempêtes et le froid, des milliers de jeunes gens ont tout de même quitté les côtes de Turquie, de Libye ou de Tunisie pour affronter une mer déchaînée à bord d’embarcations surchargées et dangereuses. Et, pour ceux qui ne se sont pas noyés en route, venir s’y échouer après plusieurs jours d’enfer. 

Lampedusa, petite île entre la Tunisie et la Sicile, craint de faire fuir les touristes en se transformant en une sorte d’ « Alcatraz méditerranéen », référence à l’île d’Alcatraz située dans la baie de San Francisco en Californie, célèbre pour y avoir abrité une prison de haute sécurité.

Depuis le début de l’année, plusieurs milliers de « boat people » y ont déjà débarqué, aussitôt enfermés dans des camps entourés de barbelés, surveillés 24h/24 par des centaines de carabiniers et de soldats. Lampedusa n’en peut plus, appelle au secours pour faire face à une situation explosive. 

Véritables avant-postes de la forteresse Europe, ces îles touristiques qui furent longtemps des terres d’émigration sont désormais prises d’assaut par des flux incessants, une véritable marée qu’aucune des mesures que l’Union européenne a tenté de mettre en place dans les pays d’où partent ces « damnés de la mer » n’est parvenue à juguler. 

Il y a quelques décennies, les émigrés du Sud de l’Europe, fuyant la misère, essayaient de gagner l’Amérique. Aujourd’hui, des milliers de jeunes gens désespérés, à la recherche d’un job, jouent à quitte ou double avec leur vie pour rejoindre cet eldorado européen qu’ils aperçoivent dans les séries, les pubs et les jeux télévisés. Via les îles paradisiaques de Lanzarote, Samos, Ténérife, Pantelleria, Kos, Gozo… 

En plein Océan Indien, c’est sur Christmas Island, une île aux plages de rêve, prisée par les amateurs de plongée sous-marine, que l’Australie « délocalise » ses immigrés indésirables. Dans un centre de détention high-tech, qualifié de « Guantanamo » pour boat people, les candidats à l’immigration sont coupés du reste du monde par un système de surveillance électronique sophistiqué et par des centaines de kilomètres d’océan.

 Les îles ont-elles désormais vocation à devoir régler « off-shore » le problème de l’immigration illégale ? D’empêcher l’accès à une Europe économiquement sinistrée, qui ne veut plus de ces « voleurs » de travail alors que le chômage est en plein boom ? C’est ce qui semble se dessiner. Avec, à la clé, cette question lancinante : où diable pourrons-nous encore aller pour passer nos vacances en paix ?