12/04/2013
"Si tu finis tes études, tu as trois débouchés : par terre, mer ou air"
par Catherine Morand, journaliste
Ce slogan - qu’on peut lire sur la plateforme des indignés espagnols Juventud sin futuro (« Jeunes sans futur » ) – a le goût amer de la réalité vécue par ces jeunes gens bien formés qui, dans le Sud de l’Europe, n’ont d’autre choix que d’aller chercher un job sous d’autre cieux, en Europe du Nord, mais aussi sur le continent africain ou en Amérique latine.
Ainsi, devant les bureaux des ambassades ou des consulats de l’Angola, du Mozambique ou du Brésil à Lisbonne, se forment des files toujours plus longues de Portugais cherchant à émigrer dans ces pays, qu’ils apprécient autant pour leur proximité linguistique que pour leur vitalité économique, afin d’échapper au chômage et à la misère. C’est le même scénario en Espagne, qui n’a plus aujourd’hui de problème d’immigration, mais bien plutôt d’émigration, avec également de longues files d’attente devant les consulats de l’Equateur, de l’Argentine, du Chili. Tandis que de nombreux jeunes cadres français cherchent à trouver du travail au Sénégal, en Côte d’Ivoire ou au Ghana.
Mais tout n’est pas simple pour autant. Ainsi, le quotidien algérien Liberté a-t-il relaté le renvoi dans leur pays, par les garde-côtes, de plusieurs immigrés clandestins originaires d’Espagne, qui voulaient se faire embaucher par des sociétés espagnoles en Algérie. La presse angolaise se fait par ailleurs régulièrement l’écho de ces Portugais en situation irrégulière interpellés par le service des migrations, travaillant au noir, expulsés manu militari. Ou encore de ces immigrés clandestins d’origine européenne, sans moyens de subsistance, qui dorment dans les rues de Maputo ou de Luanda.
Un scénario qui rappelle à s’y méprendre celui du film « Africa Paradis » du réalisateur béninois Sylvestre Amoussou, qui met en scène un couple de jeunes Français, prêts à tout pour immigrer, même clandestinement, sur un continent africain désormais prospère, tandis que l’Europe sombre dans la misère. Le jeune homme, sans papiers, est arrêté par la police des frontières et incarcéré dans un centre de transit avant d’être renvoyé. Tandis que sa compagne est tout heureuse de trouver un travail comme bonne à tout faire dans une famille aisée… Lors de sa sortie en 2007, ce film avait un petit goût de science-fiction qui s’est passablement estompé aujourd’hui : la réalité a rattrapé la fiction.
Car l’immigration d’Européens vers le continent africain, en Amérique latine ou encore en Inde et en Chine est une tendance lourde. Pour certains pays, on parle même de colonisation à l’envers, puisqu’au cours de ces trois dernières années, plus de 100'000 Portugais se sont installés en Angola. Si un tel flux migratoire devait persister, la communauté portugaise pourrait retrouver en Angola le niveau d’un demi million de ressortissants qu’elle connaissait avant son indépendance en 1975. Du jamais vu dans l’histoire post-coloniale.
Et c’est bien d’une véritable fuite des cerveaux qu’il s’agit, qui prive des pays tels que l’Espagne, le Portugal ou encore la Grèce et l’Irlande, déjà dans une situation économique catastrophique. Autant de jeunes cadres dont ces pays auront cruellement besoin, mais auxquels ils ne sont pas en mesure, aujourd’hui et peut-être pour longtemps encore, de proposer des postes de travail dignes de ce nom.
Rien à voir en tout cas avec l’immigration des années 60, où Portugais et Espagnols, peu formés, quittaient leur pays pour aller travailler sur des chantiers en Suisse, en France ou en Allemagne. Lorsqu’ils débarquent aujourd’hui en Algérie, au Maroc, au Mozambique ou au Brésil, ces jeunes cadres investissent des centres de recherche scientifiques, des cabinets d’avocats ou d’ingénieurs, trouvent facilement un travail bien payé auprès de sociétés qui privilégient souvent leur embauche à celle de cadres nationaux. Ces derniers se retrouvent une fois de plus les grands perdants de l’histoire : ils doivent affronter la concurrence d’une main d’œuvre européenne qualifiée, qui débarque massivement, faisant ainsi flamber les prix des biens de consommation et des loyers. (Publié dans le quotidien Le Courrier (Genève), le 12 avril 2013)