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21/03/2010

"Logorama"

Par Catherine Morand, journaliste - Le Matin Dimanche - le 21 mars 2010

 

Dans la ville de Los Angeles, où tout n’est plus que branding, logo et publicité, deux flics Bibendum Michelin se lancent à la poursuite du clown psychopathe Ronald McDonald qui a pris un enfant Haribo en otage. Au cours des échanges de tirs, les deux messieurs moustachus de Pringles sauvent leur chips de justesse, tout comme la pin-up à tête de goutte d’huile d’Esso, qui, du coup, croque une pomme forcément Apple. Le bain de sang est interrompu par un séisme qui détruit la ville, y compris le zoo, d’où s’échappent les crocodiles Lacoste, le lion de la Métro-Goldwyn-Meyer et les chameaux Camel suivis par les pingouins Miko.

 

Dans « Logorama », petit bijou de film d’animation qui vient de recevoir un Oscar à Hollywood, les immeubles, le paysage, les voitures, les personnages ne font plus qu’un avec les grandes marques. Le court métrage démarre d’ailleurs par une image de palmiers sur fond de coucher de soleil qui a un air de déjà vu, et pour cause : c’est le visuel du rhum Malibu. En voyant défiler les quelque 3000 logos de ce court-métrage, on ne peut qu’être bluffé : on les reconnaît tous, ou presque, jingle compris. Le grand-père Kentucky Fried Chicken, la montagne Evian, le viril M. Propre, les petits bonshommes Bic, le Géant Vert, ils sont tous là, comme autant de vieux potes qu’on côtoie tous les jours depuis toujours.

 

Du coup, le livre culte de la Canadienne Naomi Klein « No Logo » dans lequel elle dénonçait la tyrannie des marques, le branding comme paysage urbain et recensait les actes de résistance, prend un petit coup de vieux. Et on comprend pourquoi le jury des Oscars, réuni au Kodak Theater de Los Angeles, a primé le film « Logorama » dont les images relèvent davantage de l’hyper-réalisme que de la science-fiction. N’avons-nous pas, nous aussi désormais, notre Rolex Learning Center ? Et en France, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ne vient-il pas d’autoriser à la télévision le « placement de produits » dans des films, des séries ou des clips ? C’est dire si entre les marques et nous, l’histoire d’amour n’est pas près de finir.

 

« Logorama », clap de fin : le clown Ronald McDonald tente d’échapper aux flics Bibendum qui le poursuivent, en zigzaguant sur sa moto entre les logos qui se crashent sur le bitume lézardé. Un tremblement de terre apocalyptique qui engloutit ce monde en toc. Mais dans l’univers, des planètes rouges et oranges se rapprochent jusqu’à ressembler furieusement au logo de MasterCard. Et la voie lactée porte le sigle de Milky Way. Les marques ne meurent jamais.

 

 

07/03/2010

Haïti, pays Western Union

Par Catherine Morand, journaliste - Le Matin Dimanche - le 7 mars 2010

  

Haïti fait partie des « pays Western Union », du nom du leader mondial du transfert d’argent sans procédures bancaires, par lequel la diaspora haïtienne fait transiter une bonne partie des deux milliards qu’elle envoie chaque année au pays, depuis les Etats-Unis, le Canada, la France et partout ailleurs dans le monde. Parmi les dégâts collatéraux liés au séisme qui a ravagé Haïti le 12 janvier dernier, figure l’interruption de ce flux continu de dollars qui permet depuis des années à des centaines de milliers de Haïtiens de ne pas sombrer.

 

Parce qu’elles s’étaient effondrées ou pour des raisons de sécurité, les dizaines d’agences Western Union qui quadrillent l’île ont cessé de fonctionner pendant plusieurs jours. Dès leur réouverture, elles furent prises d’assaut par une foule d’Haïtiens venus récupérer l’argent envoyé par leurs proches. Western Union, dans un grand élan de générosité, a alors annoncé que pendant dix jours, les frais de transfert seraient supprimés.

 

Les frais d’envois exigés par Western Union en temps normal génèrent régulièrement de vives critiques, puisqu’ils peuvent représenter jusqu’à 25% des sommes envoyées. Si l’on songe que plus de 300 milliards de dollars sont expédiés chaque année dans leur pays d’origine par les quelque 200 millions de migrants de la planète, et que Western Union est de loin le leader mondial, on imagine aisément le pactole que cela représente pour cette firme, propriété de la First Data Corporation, un conglomérat financier américain qui compte la banque Goldman Sachs parmi ses principaux investisseurs.

 

Destin fascinant, donc, que celui de cette enseigne dont la création en 1851 remonte aux temps héroïques de la conquête de l’Ouest ; et qui construisit la ligne télégraphique reliant la côte atlantique à celle du Pacifique, le fameux « fil qui chante » des westerns. Pionnière du transfert d’argent par voie télégraphique en Amérique du Nord, c’est désormais le transfert électronique qui donne une visibilité mondiale à la Western Union : 400 000 agences, dans 200 pays et territoires ; y compris en Suisse, où l’enseigne jaune et noire fait depuis longtemps partie du paysage des gares, des bureaux de poste et depuis peu, des kiosques.

 

A ceux qui lui reprochent de vivre de la misère du monde et de racketter les immigrés qui triment dur, la Western Union répond par des campagnes de communication qui parlent de transfert d’amour, d’espoir et de sourire retrouvé. Mais lorsque l’élan de solidarité internationale sera retombé,  les Haïtiens pourront toujours compter sur les dollars envoyés chaque mois de l’étranger par leurs parents et amis, via la Western Union.